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ORIGÈNE.

tière comme bon lui semble, et s’il est l’auteur libre des lois qui assujettissent l’homme aux maladies et aux déplaisirs ? On sera donc obligé de dire pour le dégager, qu’il ne fait pas tout ce qu’il veut, et que la matière contient des semences de mal qui germent ou d’une manière ou d’autre, bon gré malgré qu’il en ait, et quelque combinaison ou quelque tissu qu’il fasse de corpuscules.

VII. C'est ainsi qu’il faut apprendre leur devoir à ceux qui veulent assujettir la théologie à la philosophie. Il faut leur montrer les conséquences absurdes de leur méthode, et les ramener par-là à cette maxime de l’humilité chrétienne, c’est que les notions métaphysiques ne doivent point être notre règle pour juger de la conduite de Dieu, mais qu’il faut se conformer aux oracles de l’Écriture. Quant à ceux qui pourraient craindre quelque péril pour la vraie foi, de ce qu’on montre que par les seules lumières philosophiques tous ne pouvons pas résister aux objections des manichéens, je les renvoie aux éclaircissemens que je dois mettre à la fin de cet ouvrage.

(F) Les tourmens dont les persécuteurs de la foi se servirent contre lui.] De tous les illustres martyrs qui périrent sous la septième persécution[1], nul ne fut attaqué avec plus d’opiniâtreté qu’Origène… Il fut jeté dans un noir cachot[* 1], attaché par le cou à un large collier de fer, étendu durant plusieurs jours sur une espèce de chevalet, qui, à force de lui écarter les pieds, lui disloqua les membres de telle sorte, que le reste de sa vie se passa dans les douleurs. Il avait alors soixante et sept ans… Chaque jour on inventait de nouvelles cruautés, que lui-même a racontées dans ses lettres, auxquelles les anciens nous renvoient, mais qui se sont perdues depuis. Souvent on le menaçait de le brûler peu à peu, et à diverses reprises, et jamais dans ce cruel et long martyre qui dura, autant qu’on en peut juger, jusqu’à la mort de Dèce, ne lui échappa rien qui ne fût digne d’un soldat de Jésus-Christ. Heureux si, rendant l’âme dans un si glorieux combat, il eût pu laver de son sang les erreurs de sa doctrine. Mais Dieu ne le permit pas[* 2]. Il souffrit beaucoup, dit saint Épiphane, et il n’arriva point au terme où le martyre conduit. Il toucha la couronne de la main, sans se la pouvoir mettre sur la tête, et celui à qui pour être martyr, il n’a, ce semble, manqué que d’expirer dans les tourmens dont il a porté les marques jusqu’à la mort, est un hérésiarque rejeté et abhorré par l’église, parce qu’il n’a pas cru comme elle. Mais on ne doit plus s’en étonner, lorsqu’on lit dans les actes du saint prêtre Pionius, qui souffre pour lors à Smyrne, qu’à côté de lui brûlait un marcionite, dont la secte, pour inspirer le désir du martyre, n’était pas moins hérétique, parce que ces faux martyrs mourraient attachés à leurs erreurs. Ce qui fait le martyr, dit excellemment saint Augustin, ce n’est pas le supplice, mais la foi qui le fait endurer. Or il n’y a plus de foi dans celui qui s’élève contre la doctrine de l’église. Où sont ceux de ce caractère, qu’on nous veut donner pour des saints, quoiqu’on ne voie rien dans leur vie qui approche ni des vertus, ni des souffrances des martyrs, mais seulement une opiniâtreté beaucoup mieux marquée que celle des anciens héresiarques[2] ?

J’ai rapporté ce long passage du pére Doucin sans en ôter la réflexion ; car j’ai cru qu’elle servirait de supplément aux choses que j’ai rapportées ci-dessus[3], touchant la querelle qui fut faite à M. Maimbourg, à l’égard des marcionites. J’ai cru encore que cela me fournirait une occasion de remarquer que les voies les plus faciles du discernement de la bonne cause nous échappent tôt ou tard. Il serait bien plus à la portée du peuple de connaître à certaines marques extérieures quelle est la vraie religion, que d’entrer dans un examen sévère de la doctrine. Or entre les marques extérieures, la constance des martyrs est la plus capable de faire impression. Elle fut tout-à-fait utile à l’avancement de la foi chrétienne : leurs cendres furent la se-

  1. * Euseb., l. 6, c. 39 ; Nicep., l. 5, c. 32.
  2. * L. de Ponderib. et Mensuris.
  1. Celle de l’empereur Décius, l’an 250.
  2. Doucin, Histoire de l’Origénisme, pag. 81 et suiv.
  3. Dans la remarque (E) de l’article Marcionites, tom. IX, pag. 225.