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ORIGÈNE.

les poussèrent jusqu’aux sensualités que l’on a vues depuis parmi les molinosistes.] Je me servirai des propres termes du père Doucin. Ils sont remplis de semences de réflexion, et indiquent l’usage qu’on en peut faire par rapport au temps présent. « Tandis que les contemplatifs sans étude donnaient inconsidérément dans toutes les chimères d’Origène, d’autres plus éclairés qu’eux, mais aussi plus corrompus, en aperçurent les conséquences très-favorables à leurs déréglemens ; et de ce que la chair n’était plus regardée que comme la prison de l’esprit, et nullement comme une partie de nous-mêmes, sanctifiée par l’union qu’elle a avec Jésus-Christ, et destinée à régner avec lui dans la gloire, ils conclurent que les souillures de la chair n’étaient pas capables d’ôter à l’esprit sa pureté, ni le priver de la grâce du créateur. On voit assez à quelles abominations conduit ce détestable principe, qui forma dans l’Orient une seconde secte d’origénistes si décriés pour leurs désordres, qu’on leur donna le nom d’infâmes et de débordés[* 1]. Ce double origénisme, l’un charnel et l’autre spirituel, a pour témoin saint Épiphane. Ainsi on ne le prendra pas pour l’invention d’un historien qui cherche dans les siècles passés des portraits de ce qui se voit dans le nôtre. Beaucoup moins doit-on le regarder comme une occasion ménagée pour avoir lieu de s’expliquer sur les affaires présentes… Si l’exécrable Molinos, tout opposé qu’il était au chaste Origène, n’a pas laissé de devenir comme lui le chef d’une hérésie spirituelle, et d’une hérésie charnelle, il ne faut pas s’en étonner[* 2]. L’hérésie la plus spirituelle, pour peu qu’elle ait d’affinité avec la règle des mœurs, et de rapport à la pratique, ouvre le chemin aux plus monstrueux désordres. Tel soupire et s’accuse lui-même, après avoir commis une méchante action, que je n’ai pu éviter, dit-il, Dieu m’ayant refusé la grâce. Tel autre, de ce que Dieu lui a ôté les moyens d’éviter cette même action, conclut qu’elle ne saurait donc être criminelle ; et il la commet sans rougir. La différence de l’un à l’autre n’est souvent que dans la manière de parler. Celui-ci parle comme il pense, et celui-là comme il veut qu’on pense de lui[1]. »

  1. * Hæres. 63 et 64. Horum verò hæresis ad Epiphanis dogma conformata videtur de que in gnosticorum sectâ sermonem anteà fecimne… nuptias repudiant, que tamen obscænis libidinibus modum ullis adhibent, adeòque omni genere spurcitite et corpus suum, et mentem animumque contaminant. Ibidem.
  2. * Voyez ce que dit M. Huet, pour prouver qu’il n’y a eu qu’un seul Origène.
  1. Doucin, Histoire de l’Origénisme, p. 139.

(I) Cet origénisme charnel… fut plus aisé à détruire que l’origénisme spirituel qui était une manière de quiétisme.] « Ce qui semblera incroyable, et qui mérite néanmoins d’être soigneusement remarqué, une hérésie charnelle est moins à craindre pour l’église[1], que celles où l’on ne voit rien que de très-réglé dans les mœurs. Il n’en faut point d’autres preuves que celle du double origénisme. Le charnel dura très-peu, et fut abhorré de tout le monde : ceux mêmes qui en étaient infectés n’osèrent produire aux yeux des hommes une doctrine si affreuse ; au lieu que l’origénisme spirituel, dont les sectateurs, selon[* 1] saint Épiphane même, étaient irréprochable du côté de la pureté, ne put être éteint qu’après plus de deux siècles ; tant la probité de ceux qui en faisaient profession cachait d’aheurtement et d’orgueil sous les apparences spécieuses d’une piété exemplaire[2]. »

J’ai encore besoin de ce passage du père Doucin. Évagre… diacre de l’église de Constantinople… était allé à Jérusalem, et de là en Égypte, s’y confiner dans la solitude… il n’était rempli que de son Origène. À peine fut-il dans son désert, que les moines origénistes, connaissant ce qu’il valait, le mirent à leur tête, et c’est la raison pourquoi l’église l’a condamné depuis comme un des chefs de cette secte. Son occupation était d’écrire des livres spirituels, qu’on estimait infiniment, et dont les

  1. * Nam licet nullum sectatoribus suis usum turpitudinis imponat., Hæres. 64.
  1. Voyez les Pensées diverses sur les Comètes, section CLXXXIX, CXC.
  2. Doucin, Histoire de l’Origénisme, p. 141.