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ORIGÈNE.

fragmens qui restent encore aujourd’hui sont effectivement très-beaux. Par ce moyen l’erreur fit des progrès inconcevables ; saint Épiphane ne tarda pas à s’en apercevoir, et saint Jérôme avertissait de son côté les fidèles d’y prendre garde. « Évagrius, disait-il, cet homme venu du Nord, qui de sa solitude écrit des lettres à tout l’univers, qui envoie des instructions aux vierges, des instructions aux moines, des instructions à celle dont le nom semble exprimer les ténèbres et la noirceur de l’hérésie (c’est de Mélanie qu’il parle), s’est avisé de publier un livre des Maximes, par lesquelles il prétend ôter à l’homme tout sentiment des passions. » Voilà justement la prétendue perfection des quiétistes. « C’est-à-dire, ajoute saint Jérôme, que de son homme parfait, Évagre en fera ou un Dieu ou une pierre[1].

  1. Doucin, Histoire de l’Origénisme, p. 177 et suiv.

(K) Les erreurs d’Origène paraissaient capables de réfuter les manichéens.] C’est ici principalement qu’il est à propos que je me serve de paroles empruntées. Pallade fut élève d’Évagre dans la vie monastique. Il sut réussir pour le moins aussi bien que lui dans l’art de faire valoir une secte. « Les femmes, et surtout celles qui avaient de la lecture, aimaient à l’entretenir, et résistaient moins que les autres à son artificieux langage. Sa coutume était de commencer par leur rendre suspecte la créance orthodoxe, en la représentant comme remplie d’absurdités dont on ne pouvait la sauver que par les principes d’Origène. Il leur demandait par exemple :[* 1] Quel mal a fait un tel enfant, que vous voyez tourmenté et possédé par le démon ? À quel âge ressusciterons-nous ? Sera-ce au même âge que nous serons morts, etc.[1]… C’est ainsi que Pallade faisait goûter l’origénisme comme un système nécessaire à expliquer d’une manière simple et aisée ce qui avait paru jusque-là comme l’écueil de notre religion. Une doctrine ainsi exposée par les premiers hommes du siècle, pouvait-elle n’avoir pas un grand succès, surtout dans la disposition où les esprits étaient alors ? On ne cherchait qu’à répondre aux manichéens, dont la secte était devenue plus nombreuse et plus florissante que jamais. S’il n’y a qu’un seul Dieu, disaient ces hérétiques, tout-puissant et infiniment bon, comment peut-il permettre ce déluge de maux qui arrivent dans le monde, et que tant de gens en soient accablés dès leur naissance, tandis que les autres naissent dans la prospérité, et dans l’affluence des biens ? Quelque absurde que parût le dogme des deux principes, l’un bon et l’autre mauvais, également puissans et indépendans l’un de l’autre, il avait trouvé néanmoins une multitude infinie de sectateurs, qui sans cela ne croyaient pas pouvoir rendre raison des maux qui arrivent en cette vie. On sait les mouvemens que saint Augustin s’est donnés pour les satisfaire là-dessus. On sait encore que Pélage qui vint ensuite, et dont le dogme fut d’abord trés-goûté, s’appliqua singulièrement à lever cette espèce de scandale, et à répondre à la question si rebattue alors : D’où vient le mal, et quelle en est l’origine ? Or cette origine de nos maux, et de la diversité de ce que chacun a à souffrir, personne ne l’expliquait avec plus de vraisemblance que les docteurs origénistes[2]. »

Notez que l’origéniste du Parrhasiana fait succéder une éternelle béatitude aux tourmens que souffriront les damnés pendant quelques siècles[3]. Cela lève la plus accablante de toutes les difficultés des manichéens ; je veux dire l’éternité du mal moral et du mal physique des enfers. Mais le père Doucin rapporte autrement la doctrine d’Origène, et ne la fait pas si commode pour répondre à ces hérétiques ; car il soutient qu’elle rejetait également l’éternité bienheureuse. Outre qu’Origène « trouvait de la cruauté à faire durer toujours la peine des damnés, cette éternité de peines lui paraissait opposée au caractère essentiel de toutes les

  1. * Hier., ep. 27.
  1. Doucin, Histoire de l’Origénisme, p. 180.
  2. Doucin, là même, pag. 182.
  3. Voyez la remarque (E), citation (40).