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PAULICIENS.

hominum vitiis ais esse culpam[1]. Il réplique qu’il fallait prévenir l’abus, et donner à l’homme une raison qui chassât le mal ; qu’on ne saurait excuser ceux qui donnent ce qu’ils savent devoir être pernicieux. Il prouve cela par plusieurs exemples. Eam dedisses hominibus rationem, quæ vitia, culpamque excluderet. Ubi igitur locus fuit errori deorum ? nam patrimonia spe benè tradendi relinquimus, quâ possumus falli : Deus falli quî potuit ? An ut sol in currum cùm Phaethontem filium sustulit ? aut ut Neptunus, cùm Theseus Hippolytum perdidit, cùm ter optandi à Neptuno patre habuisset potestatem ? Poëtarum ista sunt : nos autem philosophi esse volumus, rerum auctores, non fabularum. Atque ii tamen ipsi Dii poetici si scîssent perniciosa fore illa filiis, peccâsse in beneficio putarentur. Et si verum est quod Aristo Chius dicere solebat, Nocere audientibus philosophos iis qui benè dicta malè interpretarentur : posse enim asotos ex Aristippi acerbos è Zenonis scholâ exire. Prorsùs, si qui audierunt vitiosi essent discessuri, quòd perversè philosophorum disputationem interpretarentur ; tacere præstare philosophis, quàm iis qui se audîssent, nocere. Sic si homines rationem bono consilio à Diis immortalibus datam, in fraudem, malitiamque convertunt, non dare illam, quàm dari humano generi meliùs fuit, ut si medicus sciat eum ægrotum, qui jussus sit vinum sumere, meracius sumpturum, statimque periturum, magnâ sit in culpâ : sic vestra ista providentia reprehendenda, quæ rationem dederit iis, quos scierit eâ perversè et improbè usuros. Nisi forte dicitis eam nescivisse. Utinàm quidem ! sed non audebitis : non enim ignoro quanti ejus nomen putetis[2] ? Avec ces raisons il est facile de montrer que le libre arbitre du premier homme, qu’on lui conservait sain et entier dans des circonstances où il s’en devait servir à sa propre perte, à la ruine du genre humain, à la damnation éternelle de la plupart de ses descendans, et à l’introduction d’un effroyable déloge de maux de coulpe et de maux de peine, n’était point un bon présent. Jamais nous ne comprendrons qu’on ait pu lui conserver ce privilége par un effet de bonté, et pour l’amour de la sainteté. Ceux qui disent qu’il a fallu qu’il y eût des êtres libres afin que Dieu fût aimé d’un amour de choix[3], sentent bien dans leur conscience que cette hypothèse ne contente pas la raison : car quand il prévoit que ces êtres libres choisiront non pas le parti de l’amour de Dieu mais le parti du péché, on voit bien que la fin que l’on se serait proposée s’évanouit, et qu’ainsi il n’est nullement nécessaire de conserver le franc arbitre. J’examinerai encore ceci dans la remarque (M). Voyez à la note notre leçon[4].

  1. Non ut patrimonium relinquitur, sic ratio homini est beneficio deorum data. Quid enim potiùs hominibus dedissent, si iis nocere voluissent. Cicero, de Naturâ Deorum, lib. III, c. XXVIII, XXXI.
  2. Idem, cap. XXXI.
  3. Voyez le Traité de Morale du père Malebranche.
  4. Sancta illa et profunda fidei mysteria non pari passu cum causis naturalibus ambulant, eoque rectiùs illa et creduntur clausis oculis, et intelliguntur :

    I segreti de ciel sol colui vede,
    Che serra gli occhi, e crede.

    Franciscus Redi, de Gener. Insectorum. Notez que les deux vers italiens qu’il cite, sont du comte Guido Ubaldo Bonarelli, à la fin de la pastorale intitulée : Filli di Seiro.

(F) S’il y eût eu alors autant de disputes qu’aujourd’hui sur la prédestination.] Si les manichéens en demeuraient-là, ils renonceraient à leurs principaux avantages. Car voici des objections bien plus terribles. 1° On ne conçoit pas que le premier homme ait pu recevoir d’un bon principe la faculté de faire le mal. Cette faculté est un vice ; tout ce qui peut produire le mal est mauvais, puisque le mal ne peut naître que d’une cause mauvaise : et ainsi le franc arbitre d’Adam est sorti de deux principes contraires ; en tant qu’il pouvait se tourner du côté du bien, il dépendait du bon principe ; mais en tant qu’il pouvait embrasser le mal, il dépendait du mauvais principe. 2°. Il est impossible de comprendre que Dieu n’ait fait que permettre le péché ; car une simple permission de pécher n’ajoutait rien au franc arbitre, et ne faisait pas que l’on pût prévoir si Adam persévérerait dans son innocence, ou s’il en décherrait.