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PAULICIENS.

foi la protestation que fait l’adversaire, qu’il n’impute point à Dieu le péché de l’homme, qui ne l’en fait point l’auteur : ils veulent bien convenir qu’il n’enseigne point cela formellement, et qu’il ne voit pas tout ce que son dogme signifie ; mais ils ajoutent que protestatio facto contraria nihil valet, et que s’il prend la peine de définir exactement ce qu’il faudrait que Dieu eût fait, afin d’être l’auteur du péché d’Adam, il trouvera que, selon son dogme, Dieu a fait tout ce qu’il fallait faire pour cela. Vous faites donc, ajoutent-ils, tout le contraire d’Épicure : il niait au fond qu’il y eût des dieux, et il disait pourtant qu’il y en avait[1] ; vous, au contraire, vous niez par vos paroles que Dieu soit l’auteur du péché, mais dans le fond vous l’enseignez.

Venons enfin au texte de cette remarque. Les disputes qui se sont élevées dans l’Occident parmi les chrétiens, depuis la réformation, ont si clairement montré qu’on ne sait à quoi se prendre, quand on veut résoudre les difficultés sur l’origine du mal, qu’un manichéen serait aujourd’hui plus terrible qu’autrefois ; car il nous réfuterait tous les uns par les autres. Vous avez épuisé, nous dirait-il, toutes les forces de votre esprit. Vous avez inventé la science moyenne comme un Dieu de machine, qui vint débrouiller votre chaos. Cette invention est chimérique ; on ne comprend point que Dieu puisse voir l’avenir ailleurs que dans ses décrets, ou que dans la nécessité des causes. Cela n’est pas moins incompréhensible selon la métaphysique, qu’il est incompréhensible selon la morale, qu’étant la bonté et la sainteté elle-même, il soit l’auteur du péché. Je vous renvoie aux jansénistes : voyez comment il foudroie votre science moyenne, et par des preuves directes et par la rétorsion de vos argumens ; car elle n’empêche pas que tous les péchés et tous les malheurs de l’homme ne soient du choix libre de Dieu, et qu’on ne puisse comparer Dieu (absit verbo blasphemia), voyez la note[2], à une mère qui sachant certainement que sa fille donnerait son pucelage, si en tel lieu et à telle était sollicitée par un tel, ménagerait l’entrevue, et y mènerait sa fille, et la laisserait là sur sa bonne foi. Les sociniens, accablés de l’objection, tâchent de s’en délivrer en niant la prescience, mais ils ont la honte de voir que leur hypothèse avilit le gouvernement de Dieu, sans le disculper ; et qu’elle n’évite la comparaison de cette mère que du plus au moins. Voyez la page précédente, citation (41). Je les renvoie aux protestans, qui les terrassent et qui les abîment. Quant aux décrets absolus, source certaine de la prescience, voyez, je vous prie, de quelle manière les molinistes et les remontrans les combattent. Voilà un théologien aussi résolu que Bartole, qui confesse, presque la larme à l’œil, qu’il n’y a personne qui soit plus incommodé que lui des difficultés de ces décrets, et qu’il ne demeure en cet état que par ce qu’ayant voulu se transporter dans les méthodes de relâchement, il se trouve encore accablé de ces mêmes pesanteurs[3]. Il s’est expliqué encore avec plus de force sur tout cela[4], et vous ne sauriez nier qu’il n’ait réfuté invinciblement toutes ces méthodes : et par conséquent il ne vous reste aucune ressource, à moins que vous n’adoptiez mon système des deux principes. Par-là vous vous tirerez d’affaire : toutes les difficultés se dissiperont ; vous disculperez pleinement le bon principe, et vous comprendrez que vous ne ferez que passer d’un manichéisme moins raisonnable, à un manichéisme plus raisonnable : car si vous examinez votre système avec attention, vous reconnaîtrez qu’aussi bien que moi, vous admettez deux principes, l’un du bien, l’autre du mal ; mais au lieu de les placer, comme je fais ;

  1. Epicurum perbis reliquisse deos, re sustulisse. Cicero, de Naturâ Deorum, lib. I, cap. XXX. Voyez aussi Lactance, libro de Irâ Dei ; cap. IV.
  2. Cette comparaison a choqué plusieurs personnes de la religion : mais je les prie ici de considérer que ce n’est que rendre le change aux jésuites et aux arminiens, qui font les comparaisons les plus horribles du monde entre le Dieu des calvinistes, disent-ils, et Tibère, Caligula, etc. : il est bon de leur montrer qu’on peut les battre par de telles armes.
  3. Jurieu, Jugement sur les Méthodes, pag. 23.
  4. Voyez la remarque (I).