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PAULICIENS.

livre de l’Utilité de la Foi, et de la nécessité qu’il y a de croire, principalement dans les choses surnaturelles et qui appartiennent à la religion[1].

  1. Maimbourg, Histoire de saint Léon, liv. I, pag. 16, 17, édition de Hollande.

(G) Les Païens pouvaient mieux répondre que les chrétiens aux objections manichéennes. ] Je ne parle pas de tous les païens ; car nous avons vu ailleurs[1] que le philosophe Mélissus, qui ne reconnaissait qu’un principe de toutes choses, n’eût su répondre aux difficultés de Zoroastre qui reconnaissait deux principes, l’un bon, et l’autre mauvais. S’il n’y a qu’un principe, et si ce principe est essentiellement bon, d’où vient que les hommes sont assujettis à tant de misères ? d’où vient qu’ils sont si méchans[2] ? Qu’a-t-il gagné s’il a fait le monde pour l’amour d’eux ? An hæc, ut ferè dicitis, hominum causâ Deo constituta sunt ; sapientumne ? propter paucos ergò tanta est facta rerum molitio : an stultorum ? at primùm causa non fuit cur de improbis benè mereretur : deindè est assecutus, cùm omnes stulti sint sinè dubio miserrimi, maximè quòd stulti sunt ? Miserius enim stultitiâ quid possumus dicere ? Deindè quòd ita multa sunt incommoda in vitâ, ut ea sapientes commodorum compensatione leniant ; stulti nec victare venientia possint, nec ferre præsentia[3]. Si cet unique principe que vous admettez est méchant de sa nature, d’où vient que l’homme peut jouir de tant de plaisirs[4], et qu’il les peut recevoir en foule par tous ses sens, comme par autant de portes ? d’où vient la passion avec laquelle il les recherche ? d’où vient l’industrie inépuisable avec laquelle il les multiplie, et il en invente de nouveaux ? D’où vient même que non-seulement il a l’idée de l’honnêteté, mais aussi qu’il se fait parmi les hommes beaucoup d’actions vertueuses et charitables ? Il est impossible, diront les manichéens, de donner raison de ces phénomènes, si l’on suppose que deux principes, l’un bon et l’autre mauvais, ont réglé les conditions du mariage de notre corps et de notre âme, et en général tout ce qui concerne la direction de l’univers. Mélissus et Parménide n’étaient pas les seuls à qui ces difficultés pussent faire de la peine ; les stoïciens aussi s’en trouvaient fort embarrassés ; les stoïciens, dis-je, qui sans nier qu’il y eût beaucoup de dieux, les réduisaient tous à Jupiter, comme au souverain dispensateur des événemens[5]. C’est à lui qu’ils attribuaient la providence, et ils le reconnaissaient pour un être infiniment bon, et infiniment prudent. C’est sur cela que Plutarque s’est fondé dans les objections qu’il leur a faites, tirées de la misère du genre humain. « Il n’y a pas un homme sage, dit-il[6], ni n’en y eut jamais dessus la terre, et au contraire innumerables millions d’hommes malheureux en toute extrémité, en la police et domination de Jupiter, duquel le gouvernement et l’administration est très-bonne. Et que pourroit-il plus estre contre le sens commun, que de dire, que Jupiter gouvernant fort souverainement bien, que nous soyons souverainement malheureux ? Si donc, ce qui n’est pas seulement loisible de dire, il ne vouloit plus estre ni sauveur, ni delivreur, ni protecteur, ains tout le contraire de ces belles appellations là, on ne sauroit plus rien ajouster de bien à ce qu’il en a, ni en nombre ni en quantité : ainsi comme ils disent, là où les hommes vivent en toute extremité miserablement et meschamment, ne recevant plus le vice aucun acroissement, ni la malheureté aucun avancement. Et toutefois encore n’est-ce pas là le pis qu’il y ait, ains se courroucent à Menander, de ce qu’il a dit, comme poëte, par ostentation :

L’estre trop bon est cause de grands maux.
disans que cela est contre le sens

  1. Dans l’article Manichéens, tom. X, pag. 197, remarque (D).
  2. Là même.
  3. Cicero, De Naturâ Deorum, lib. I, c. IX.
  4. Siquidem Deus est, undè mala ? bona verò undè, si non est ? Boet., de Consol., lib. I, prosa IV, pag. m. 11. Voyez ce qu’on citera de Cicéron, dans l’article Périclès, remarque (K), à la fin de ce volume.
  5. Voyez Plutarque, adversùs Stoïcos, pag. 1075.
  6. Ibidem. Je me sers de la version d’Amyot, Œuvres morales de Plutarque, pag. 707, tom. II, édition de Genève, 1621, in-8°.