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PÉRICLÈS.

comique, et Dexippus, le frondèrent. Plutarque ne se contente pas de le dire, il rapporte aussi leurs paroles [1]. M. le Fèvre de Saumur remarque [2] que Cratinus était ferme et hardi en ses compositions, et que la liberté de son style n’épargnait pas même les premiers officiers de la république, le grand et l’Olympien Périclès. Voyons aussi ce qu’il dit en un autre endroit. « Hermippe fit une chose que saint Augustin ignorait sans doute ; car ce grand docteur, qui ne savait pas tant de grec qu’on pourrait bien croire, et qui étudiait plus soigneusement les matières de la grâce que l’histoire grecque et les poëtes comiques, dit en quelque endroit de la cité de Dieu, que jamais la licence du théâtre ne fut assez effrontée pour offenser Périclès ; mais que Térence n’avait pas fait scrupule d’’offenser Jupiter même. (ce passage se trouve dans l’Eunuque.) Il se trompait donc ; car Hermippe fit des vers contre Périclès [3]. » Jamais censure ne fut plus injuste que celle-ci ; car il est très-faux que saint Augustin ait dit ce que le critique de Saumur lui impute. Il a cité un long passage, où l’on déplore que le grand Périclès n’ait pas été épargné par les poëtes du théâtre. Quid autem hic senserint Romani veteres, Cicero testatur in libris, quos de Republicâ scripsit, ubi Scipio disputans ait, nunquàm comœdiæ nisi consuetudo vitæ pateretur, probare sua theatris flagitia potuissent. Et Græci quidam antiquiores vitiosæ suæ opinionis quandam convenientiam servaverunt, apud quos fuit etiam lege concessum, ut quod vellet comœdia nominatim, vel de quo vellet, diceret. Itaque sicut in eisdem libris lequitur Africanus, quem illa non attigit, vel potiùs quem non vexavit, cui pepercit ? Esto : populares homines improbos, in repub. seditiosos, Cleonem, Cleophontem, Hyperbolum læsit. Patiamur, inquit, etsi hujusmodi cives, a censore meliùs est quàm à poëtâ notari : sed Periclem, cum jam suæ civitati maximâ autoritate plurimos annos domi et bello præfuisset, violari versibus, et eos agi in scenâ non plus decuit, quàm si Plautus, inquit, noster voluisset, aut Nævius, Publio et Cneo Scipioni, aut Cæcilius Marco Catoni maledicere. Deindè paulò post nostræ, inquit, contrà duodecim tabulæ cùm perpaucas res capite sanxissent, in his hanc quoque sanciendam putaverunt, si quis actitavisset, sive carmen condidisset ; quod infamiam faceret, flagitiumve alteri. Præclarè. Judiciis enim ac magistratuum disceptationibus legitimis propositam vitam, non poëtarum ingeniis habere debemus, nec probrum audire, nisi eâ lege ut respondere liceat, et judicio defendere. Hæc ex Ciceronis quarto de Republicâ libro ad verbum excerpenda arbitratus sum, nonnullis propter faciliorem intellectum vel prætermissis, vel paululùm commutatis [4]. Cette faute de M. le Fèvre doit apprendre à tous les auteurs à se défier de leur mémoire, et à n’alléguer jamais une chose sans consulter tout de nouveau les livres où l’on se souvient de l’avoir lue. Il avait lu dans saint Augustin, que les romains n’eussent pas permis que leurs comédies offensassent Scipion, quoiqu’ils permissent que Térence choquât Jupiter : ses idées se brouillèrent ; il mit Périclès à la place de Scipion, et par cette métamorphose il se crut très-bien fondé à traiter saint Augustin. Voyons les paroles de ce père de l’église : elles sont belles et sensées ; elles reprochent aux législateurs romains un très-grand défaut : ils défendirent aux poëtes de médire des magistrats ; mais ils leur permirent de se moquer de leurs dieux, At romani sicut in illâ de repub. disputatione gloriatur Scipio, probris et injuriis poëtarum subjectam vitam famamque habere noluerunt, capite etiam punire sancientes tale carmen condere si quis auderet. Quod ergà se quidem satis honestè constituerunt, sed ergà Deos suos superbè et irreligiosè. Quos cùm scirent non solùm patienter, sed etiam libenter poëtarum probris maledictisque lacerari, se potiùs hujuscemodi injuriis indignos esse duxerunt, se-

  1. Plut., in Pericle, pag. 153, 154, 160, 165, 170.
  2. Vie des Poëtes grecs, pag. m. 90.
  3. Là même, pag. 81, 82.
  4. Augustinus, de Civit. Dei, lib. II, cap. IX, pag. m. 166.