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PÉRICLÈS.

nians qu’il entretenoit la femme d’un Menippus, qui estoit son amy et son lieutenant en guerre, et luy mettans sus aussi que Pyrilampes l’un de ses familiers nourrissoit des oyseaux, et notamment des pans [1], qu’il envoyoit secrettement aux femmes dont Pericles jouïssait [2]. » Si Périclès n’était pas content de sa femme, il l’était encore moins de son fils aîné. C’était un garçon d’un fort mauvais naturel ; il était prodigue, et se plaignait éternellement de l’économie de son père : ses plaintes redoublèrent après qu’il se fut marié avec une femme qui faisait beaucoup de dépenses. Il emprunta de l’argent au nom de son père, et ayant vu que Périclès, au lieu de rembourser cette somme, mit en justice celui qui l’avait prêtée, il se déchaîna horriblement contre lui. Servons-nous des paroles d’Amyot [3]. « Le jeune homme Xantippus, estant griefvement indigné contre son pere, alloit mesdisant de luy en public par la ville, comptant par une manière de moquerie les occupations ausquelles il vaquoit et passoit son temps quand il estoit en son privé, et les propos qu’il tenoit avec des sophistes et maistres de rhetorique : car comme il fust advenu, qu’en un jeu de pris l’un des champions qui combattoyent à qui lanceroit mieulx le dard, eust par meschef [4] attaint et tué un Epitimius Thessalien [5], il alloit par tout racontant que Pericles avoit tout un jour esté à disputer avec Protagoras le rhetoricien, à sçavoir qui devoit estre jugé coulpable de ce meurtre, selon la vraye et droitturiere raison, le dard, ou celuy qui l’avoit lancé, ou bien ceulx qui avoient dressé le jeu de pris. Davantage Stesimbrotus escrit que le bruit qui courut par la ville, que Pericles entretenoit sa femme, fut semé par Xantippus mesme. Tant y a, que ceste querelle et dissenssion entre le pere et le filz dura, sans jamais se reconcilier, jusques à la mort. » Il y a dans cette version d’Amyot une équivoque très-obscure. Pericles entretenoit sa femme. Était-ce sa propre femme ? Était-ce la femme de Stésimbrotus ? Était-ce la femme de Xanthippus ? Le premier sens, quelque ridicule qu’il soit, est le plus conforme de tous à la grammaire française. Ce n’est point celui de Plutarque. L’historien a voulu dire que ce fut Xanthippus qui divulgua que sa femme avait été débauchée par Périclès. On ne devinerait jamais cela, ni par les paroles grecques de Plutarque, ni par la version latine ; il faut le deviner par un autre endroit de l’historien. Il dit dans la page 160, que Périclès fut accusé d’avoir eu affaire avec sa bru ; qu’il en fut, dis-je, accusé par Stésimbrotus. Στησίμβροτος ὁ Θάσιος δεινὸν ἀσέβημα καὶ μυθῶδες ἐξενεγκεῖν ἐτόλμησεν εἰς τὴν γυναῖκα τοῦ υἱοῦ κατὰ τοῦ Περικλέους. Quùm Stesimbrotus quoque Thasius, atroci scelere et fabuloso Periclem asperserit in filii conjugem admisso [6]. Moyennant ce passage, l’on peut entendre celui-ci, qui autrement serait une énigme. Πρὸς δὲ τούτοις, καὶ τὴν περι τῆς γυναικὸς διαϐολὴν ὑπὸ τοῦ Ξανθίππου ϕησὶν ὁ Στησίμϐροτος εἰς τοὺς πολλοὺς διασπαρῆναι. Infamiam etiam à suâ ipsius uxore Stesimbrotus per Xanthippum memoriæ prodidit vulgatam [7]. En comparaison de ce chagrin domestique, celui dont je vais parler n’est point grand ; mais considéré sans parallèle, il n’est point petit. Périclès avait un maître d’hôtel qui réglait avec tant d’économie toute la dépense de la maison [8], qu’on n’eût pas pu être plus en garde contre les frais superflus chez les plus petits bourgeois. Ces manières épargnantes faisaient murmurer le fils de Périclès, et toutes les femmes du logis. N’était-ce pas un rabat-joie pour le maître ? On peut croire assez raisonnablement que Périclès ne s’esti-

  1. Ces oiseaux étaient alors d’un grand prix. Voyez Athénée, lib. XIV, c. XX, p. 654, 655.
  2. Amyot, dans la version de la Vie de Périclès, pag. 577.
  3. Amyot, là même, pag. 617, 618.
  4. Il fallait dire par mégarde. Voyez Girac, Réplique à Costar, pag. 438 : il y a au grec ἀκουσίως, c’est-à-dire involontairement.
  5. Amyot n’a rien entendu ici : il fallait dire qu’Épitimius tua par mégarde un cheval : ἵππον, dit Plutarque, ἀκοντίῳ πατάξαντος Ἐπιτιμίου τοῦ ϕαρσαλίου ἀκουσίως καὶ κτείναντος. Voyez Girac, là même, qui daube d’importance Costar.
  6. Plut., in Pericle, pag. 160, E.
  7. Idem, ibidem, pag. 172, B.
  8. Idem, ibidem, pag. 162.