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PÉRICLÈS.

ma point heureux de perdre ce fils aîné, qui lui donnait si peu de satisfaction ; car la nature nous porte à aimer mieux la vie d’un fils que sa mort, quoiqu’il ne fasse pas son devoir. Mais on peut être assuré que ce grand homme vit avec douleur que la peste lui enlevait son second fils, le seul enfant légitime qui lui restât. Il conserva sa constance à la mort de son aîné, et à celle de sa sœur, et à celle de la plupart de ses amis et de ses parens ; mais il ne put retenir ses larmes, quand il fut frappé de ce dernier coup [1]. Il n’en rabaissa de rien la grandeur et haultesse de son courage, quelques malheurs qui luy survinssent, ny ne le veit on jamais plorer, ny mener dueil aux funerailles d’aucun de ses parents ou amis, jusques à la mort de Paralus le dernier de ses enfans legitimes ; car la perte de celuy là seul lui attendrit le cueur : encore tascha il à se maintenir en sa constance naturelle, et se conserver en sa gravité accoustumée ; mais comme il luy vouloit mettre un chapeau de fleurs sur la teste, la douleur le forcea quand il le veit au visage, de maniere qu’il se prit soudainement à escrier tout hault, et espandit sur l’heure grande quantité de larmes ; ce qu’il n’avait jamais fait en toute sa vie [2]. Cela me fait souvenir d’un roi d’Égypte dont parle Hérodote [3], et d’une omission de Valère Maxime. Pericles intra quatriduum duobus mirificis adolescentibus filiis spoliatus ; iis ipsis diebus et vultu pristinum habitum retinente, et oratione nullâ ex parte infractiore concionatus est. Ille vero caput quoque solito more coronatum gerere sustinuit, ut nihil ex vetere ritu propter domesticum vulnus detraheret [4]. Je compte pour un notable désavantage les démarches que fit Périclès en faveur de son bâtard. Il avait fait faire une loi qui fut la ruine de plusieurs personnes ; et puis en faveur de ce bâtard il demanda qu’on la cassât ; et il n’obtint cette grâce que par la pitié qu’on eut de ses infortunes. Ὄντος οὖν δεινοῦ τὸν κατὰ τοσοῦτον ἰσχύσαντα τὸν νόμον, ὑπ᾽ αὐτοῦ πάλιν διαλυθῆναι τοῦ γράψαντος, ἡ παροῦσα δυστυχία τῷ Περικλεῖ περὶ τὸν οἶκον, ὡς δίκην τινὰ δεδωκότι τῆς ὑπεροψίας καὶ τῆς μεγαλαυχίας ἐκείνης, ἐπέκλασε τοὺς Ἀθηναίους· καὶ δόξαντες αὐτὸν νεμεσητά τε παθεῖν, ἀνθρωπίνων τε δεῖσθαι, συνεχώρησαν ἀπογράψασθαι τὸν νόθον εἰς τοὺς ϕράτορας, ὄνομα θέμενον τὸ αὑτοῦ. Quùm esset igitur res indigna, ut quæ contrà tam multos vim habuerat, ab eodem lex qui tulerat eam, rursùs abrogaretur : præsens Periclis clades domestica (ut qui pœnam luisse jàm fastus et arrogantiæ illius suæ videretur) infregit populum Atheniensem, putavitque eum, Deorum oppressum invidiâ, esse humanitate allevandum, quarè indulsit ei ut in curiâ suâ nothus censeretur nomine paterno [5]. Une faveur a bien de mauvais côtés lorsqu’elle coûte cela. Quel chagrin de se figurer les réflexions de toute une ville sur la conduite d’un homme, qui ayant fait une loi dont l’importance voulait qu’on sacrifiât une partie des habitans, je veux dire qu’on les réduisît à l’esclavage, demande ensuite qu’on la révoque pour ses intérêts particuliers ? La loi dont je parle portait que tous ceux qui n’étaient point nés de père et de mère Athéniens, fussent réputés bâtards. En exécution de quoi il y eut près de cinq mille bourgeois qui furent vendus.

(H) Il y a une réflexion à faire sur les médisances qui coururent contre lui. ] Cette réflexion est de Plutarque ; elle tend à faire voir l’incertitude de l’histoire ; c’est un des moyens de l’époque dans le système du pyrrhonisme historique. Plutarque ayant rapporté les médisances des poëtes contre Périclès, et la calomnie énor-

  1. Amyot, dans la version de la Vie de Périclès, pag. 618.
  2. Cela ne s’accorde point avec les larmes que l’on rapporte qu’il répandit pendant le procès d’Aspasie. Voyez la remarque (O), citation (174) et (175).
  3. Lib. III, cap. XIV : il raconte que Psamménitus ne pleura point la misère de sa fille et celle de son fils, et qu’il pleura en voyant celle d’un de ses amis. Voyez, là même, ce qu’il répondit quand on lui demanda la raison de cette conduite. Voyez aussi Montaigne, au chapitre II, du Ier. livre de ses Essais.
  4. Valer. Maximus, lib. V, cap. X. Voyez aussi Élien, Var. Hist., lib. IX, cap. VI. Notez que Protagoras, dans Plutarque, de Consolat. ad Apollon., pag. 118, rapporte la même chose que Valère Maxime, si ce n’est qu’il met huit jours entre la mort de l’un des fils, et la mort de l’autre.
  5. Plut., in Pericle, pag. 172, E.