Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T11.djvu/623

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
605
PÉRICLÈS.

nia secundùm ejus rationem gubernabuntur [1]. Ailleurs encore il accuse d’une maligne impiété un historien [2], pour avoir fait dire à Solon, est-ce à moi qu’il faut demander si l’homme est heureux, moi qui sais que tous les dieux sont envieux et turbulens ? Τοῖς δὲ θεοῖς λοιδορούμενος ἐν τῷ Σόλωνος προσωπείῳ ταῦτα εἴρηκεν, ὦ Κροῖσε, ἐπιςάμενόν με τὸ θεῖον πᾶν ἐὸν ϕθονερόν τε καὶ ταραχῶδες ἐπερωτᾷς ἀνθρωπηίων περὶ πραγμάτων. ἃ γὰρ αὐτὸς ἐϕρόνει περὶ τῶν θεῶν, τῷ Σόλωνι προςριβόμενος, κακοήθειαν τῇ βλασϕημίᾳ προςίθησι. Diis autem maledicens sub personâ Solonis : me, inquit, gnarum omne numen invidum esse ac tumultuosum, de rebus humanis interrogas. Suam enim de dis Soloni tribuens sententiam, malignitatem impio sermoni adjunxit [3]. Je suis sûr qu’il se fût moqué de la glose mitigée des anciens prêtres de l’Étrurie. Ils attribuaient à Jupiter deux sortes de foudre, l’une favorable, l’autre funeste, et ils prétendaient qu’il ne lançait la seconde que par le conseil des autres dieux ; mais que de son propre mouvement, et sans l’avis de personne, il lançait l’autre. Cela n’eût pas contenté Plutarque : il ne croyait pas qu’une bonté comme celle des souverains débonnaires suffit à Dieu. Les bons princes se plaisent à distribuer eux-mêmes les grâces, et à donner à leurs ministres la commission de châtier ; ils usent de promptitude quand ils récompensent, et de lenteur quand ils punissent [4]. Ils font du bien avec joie, et du mal avec regret. C’est ressembler à un père : mais encore un coup cette glose des Toscans eût fort déplu à Plutarque : il eût dit peut-être de leur Jupiter ce que d’autres disent d’un empereur [5] qui a fort persécuté le christianisme, et qui ne voulut pas commencer la persécution sans l’avis d’autrui. Placuit ergò amicorum sententiam experiri. Nam erat hujus malitiæ. Cùm bonum quid facere decrevisset, sinè consilio faciebat, ut ipse laudaretur. Cùm autem malum, quoniàm id reprehendendum sciebat, in consilium multos advocabat, ut aliorum culpæ adscriberetur quidquid ipse deliquerat [6]. C’est une finesse, c’est un artifice de vieux politique. Je m’en rapporte à Pie IV : quand on le pressait de terminer les disputes de la préséance entre les ambassadeurs du roi très-chrétien, et ceux du roi catholique, il se servait de délais, et enfin il leur conseilla de s’en remettre à la décision du sacré collége. Il ne voulut pas s’exposer seul aux mauvaises suites du jugement, et il plaisanta même sur ce qu’il se conformait à la conduite de Jupiter. Ad extremum utrique occultè suadere ut ad sacrum cardinalium collegium causam integram remitterent : intereà à publicis in pontificio sacello cæremoniis abstinerent. Ratus eâ ratione ob diversa cardinalium studia producendum infinitè judicium, se certè à ferendæ sententiæ necessitate, atque adeò ab invidiâ subtrahendum. Nempè imitandum principi Jovem facetè dicebat : qui (ut est vetus Etruscorum disciplinæ commentum) ex duplici fulminum genere, prosperum ipse per se, at infaustum adhibito Deorum consilio contorquere solitus sit [7].

C’est donc ainsi que l’esprit de l’homme, trop borné pour comprendre clairement que les misères et les crimes dont la terre est toute couverte, puissent compatir avec l’Être infiniment bon, s’est précipité dans l’hypothèse des deux principes. Voilà ce que je voulais dire touchant l’observation de Plutarque.

J’ajoute encore ce petit mot. Le proverbe grec [8], je tiens pour Dieu tout ce qui me nourrit, fait plus d’illusion qu’on ne s’imagine. Voyez la réponse qui fut faite à Philippe de

  1. Plat., de Stoïc. Repugn., pag. 1051, D.
  2. C’est Hérodote.
  3. Plut., de Malign. Herodoti, p. 857, 858.
  4. Sed piger ad pœnas princeps ad præmia velox.
    Quique dolet quoties cogitur esse ferox.
    Ovid. de Ponto lib. I, eleg. II, vs. 123.

  5. C’est Dioclétien.
  6. Lactantius, de Mortibus Persecutorum, cap. XI, pag. 99, 100, de la belle édition de M. Bauldri. Voyez ses notes et celles de Columbus, ibidem, part. II, pag. 287.
  7. Famianus Strada, dec. I, lib. IV, pag. m. 175. Voyez Sénèque Nat. Quæst. lib. II, cap. XLI, et sequent. Conférez ce que dessus, citat. (96) et (97) de l’article Nestorius, dans ce volume pag. 129.
  8. Τὸ γὰρ τρέϕόν με τοῦτ᾽ ἐγὼ χριίνω θεόν.