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PÉRICLÈS.

si l’on fait le parallèle des biens et des maux que la Providence fait à l’homme, il ne faut pas moins compter les maux qui naissent de la faiblesse de notre raison, les maladies, la faim, le froid, etc.

Ovide remarque qu’il y a plus de beaux jours dans l’année que de jours sombres [1] : l’on peut dire aussi que les jours où l’homme se porte bien sont en plus grand nombre que les jours où il est malade. Mais peut-être aussi qu’il y a autant de mal dans quinze jours de maladie, que de bien dans quinze mois de santé ; car le bien n’est bien qu’à proportion qu’on le sent : or on ne sent guère la santé, quand on en jouit sans interruption. Prenez bien garde que je considère la santé comme séparée des autres plaisirs dont elle laisse jouir. Le journaliste que j’ai cité eût pu alléguer un beau passage de Cicéron, où après un dénombrement exact des utilités que l’homme tire des plantes et des animaux, on observe qu’il semble que la Providence ait travaillé pour les voluptés du genre humain, comme si elle eût été épicurienne. Ex quibus tanta percipitur voluptas ut interdùm pronœa nostra epicurea fuisse videatur [2]. Quoi qu’il en soit, l’homme se porte plus naturellement à reconnaître le caractère de la nature divine dans les effets de la bonté, que dans les distributions des peines et du malheur. On a reconnu les bontés de la Providence dans les services que les grands hommes ont rendus à leur patrie. Multos prætereà et nostra civitas et Græcia tulit singulares viros, quorum neminem nisi juvante Deo talem fuisse credendum est..... nemo igitur vir magnus sinè aliquo afflatu divino unquàm fuit [3]. Et Sénèque dit en général que personne n’est homme de bien, et grand homme, sans l’assistance de Dieu. Bonus vir sinè Deo nemo est. An potest aliquis suprà fortunam, nisi ab illo adjutus, exsurgere ? ille dat consilia magnifica, et erecta. In unoquoque virorum bonorum (Quis Deus incertum est) habitat Deus...... Si hominem videris interritum periculis, intactum cupiditatibus, inter adversa felicem, in mediis tempestatibus placidum, ex superiore loco homines videntem, ex æquo deos : non subibit te veneratio ejus ? non dices : ista res major est altiorque, quàm ut credi similis huic, in quo est, corpusculo possit ? Vis istùc divina descendit : animum excellentem, moderatum, omnia tanquàm minora transeuntem, quidquid timemus optamusque ridentem, cœlestis potentia agitat. Non potest res tanta sinè adminiculo numinis stare. Itaque majore sui parte illìc est, undè descendit [4]. Quant aux maux, on se servait de mille détours pour ne les attribuer pas à Dieu : on se faisait un fantôme que l’on appelait Fortune, à qui l’on imputait ses disgrâces : on se représentait je ne sais quels êtres malfaisans de leur nature ; et nous voyons ici Plutarque qui nous déclare que les dieux ne font que du bien. Ailleurs il se moque de Chrysippe, qui attribuait le mal à la négligence et à la méchanceté des génies que Jupiter préposait à certaines choses. Τὸ δὲ ϕαύλους δαίμονας τό δέ φαύλους δαίμονας ἐκ προνοίας ἐπί τάς τοιαύτας ἐπιςασίας καθίςασθαι· πώς ούκ ἔςίν ἔγκλημα τοῦ θεοῦ, καθάπερ βασιλέως κακοῖς καὶ ἐμπλήκτοις σατράπαις καὶ ςρατηγοῖς διοικήσεις ἐπιτρέποντος, καὶ περιορῶντος ὑπὸ τούτων ἀμελουμένους καὶ παροινουμένους τοὺς ἀρίςους ; καὶ μὴν εἰ πολὺ τὸ τῆς ἀνάγκης μέμικται τοῖς πράγμασιν, οὔτε κρατεῖ πάντων ὁ θεὸς, οὔτε πάντα κατὰ τὸν ἐκείνου λόγον διοικεῖται. Malos autem genios à Providentiâ his præfici muneribus, qui non sit vitio vertendum Deo, qui tanquàm rex malis et væcordibus satrapis ac præfectis provincias mandaverit, patiaturque ab his despici et contumeliosè tractari optimos ? Et quidem, si multum necessitatis admixtum rebus est : neque omnia Deus habebit in suâ potestate, neque om-

  1. Si numeres anno soles et nubila toto,
    Invenies nitidum sæpiùs esse diem.
    Ovid., Trist., lib. V, eleg. VIII, vs. 31.

    Voyez la remarque (F) de l’article Xénophanes tom. XIV.

  2. Cicero, de Naturâ Deorum, lib. II, cap. LXIV. Conférez ce que David, au psaume VIII, observe de la bonté avec laquelle Dieu fait servir les animaux à l’utilité de l’homme, et ce que dit Sénèque, de Benefic., lib. IV, cap. V, VI et VII, usquè in delicias amamur. Je rapporte plus au long cela dans la remarque (F) de l’article Xénophanes, tom. XIV.
  3. Cicero, ibidem, cap. LXVI.
  4. Seneca, epist. XLI, pag. m. 236. Voyez-le aussi, epist. LXXIII, pag. 305.