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PÉRICLÈS.

de Samos : J’apprends avec joie qu’un homme qui est mon ami soit heureux. Mais vos grandes prospérités ne me plaisent point ; car je sais combien la divinité est envieuse. Ἐμοὶ αἱ σαὶ μεγάλαι εὐτυχίαι οὐκ ἀρέσκουσι, τὸ θεῖον ἐπιςαμένῳ ὡς ἔςι ϕθονερόν. Tuæ magnæ prosperitates mihi non placent, qui intelligo quam invidum numen sit [1]. Henri Étienne, qui justifie le mieux qu’il peut cet historien à l’égard de plusieurs autres reproches, ne s’amuse point à repousser l’accusation de Plutarque sur ce point-ci. Je n’ai pas trouvé qu’il fasse semblant de l’avoir sue. Il a ramassé soigneusement plusieurs maximes et plusieurs observations d’Hérodote, qui peuvent être des preuves d’orthodoxie pieuse sur le chapitre de la Providence, et il a mis même dans cette classe un endroit du VIIe. livre, où Artaban insiste beaucoup sur le naturel envieux de Dieu. Artaban représente que la divinité ne jette ses foudres que sur les grands corps [2], car, ajoute-t-il, elle se plaît à opprimer tout ce qui est éminent. ϕιλέειγὰρ ὁ θεός τὰ ὑπερέχοντα πάντα κολούειν. Gaudet enim Deus eminentissima quæque deprimere [3] De là vient qu’une grande armée est battue par une petite, lorsque Dieu, portant envie [4], jette la terreur ou la foudre. Ainsi quelques-uns ont été précipités dans la misère autrement que ne portait leur dignité ; car Dieu ne souffre nullement qu’autre que lui ait grande opinion de soi-même. Δἰ ὦν ἐσϕάλησαν ἀναξίως ἑωϋτῶν· οὐ λὰρ ἐᾶ ϕρονέειν ἄλλον μέγα ὁ θεὸς ἢ ἑωϋτόν. Proptereà quidam secùs ac dignitas sua postulabat in calamitatem inciderunt, quia Deus neminem alium quùm seipsum sinit magnificè de se sentire [5]. Voilà l’un des exemples que Henri Étienne donne de la piété d’Hérodote ; piété, dit-il, aussi grande qu’elle pouvait être dans un homme destitué de la lumière évangélique. Il veut même que ces sentimens d’Hérodote sur la puissance et la providence de Dieu, soient ceux que les chrétiens en doivent avoir : il veut qu’il soit impossible d’en rien dire de plus divin que ce qu’en a dit cet historien [6] : Multæ sententiæ sive γνωμαι tùm quas aliis locis adhibuit, tùm quas narrationibus vel præfixit, vel tanquàm corollaria adjunxit, tantâ illum pietate præditum fuisse testantur ; quantâ in hominem christianæ religionis ignarum cadere potest : imò verò ea de divinâ potentiâ providentiâque sensisse quæ christianum sentire et deceat et oporteat. Hujusmodi sunt hæc in Thaliâ, sed profectò..... Consideremus et hæc ex Polymniâ Viden’ ut Deus [7]... quid, obsecro, de divinâ potentiâ diviniùs istis dici potuit ? Il rapporte ensuite quatre vers grecs [8] qui reviennent à quelques paroles d’Horace [9] qu’il rapporte aussi, et qui signifient que Dieu peut changer le haut en bas ; et que Dieu abaisse les grands et élève les petits, et il conclut que les louanges que l’on donne à cette sentence-là sont très-légitimes ; mais qu’Hérodote va beaucoup plus loin, et meritò quidem certè illam veteris poëtæ sententiam laudibus extollunt : sed quantò tamen ulteriùs progreditur hic noster historicus ? Je ne puis comprendre par quel éblouissement d’esprit Henri Étienne prend ici les choses un peu de travers. Il n’en voit que le beau côté ; il ne fait aucun attention au défaut le plus nuisible. Il se laisse charmer à la grande idée qu’Hérodote donne de la puissance de Dieu, et il ne s’aperçoit pas qu’une puissance dirigée par la jalousie de la prospérité d’autrui, ne peut être qu’une qualité odieuse et défectueuse. C’est là le nœud de l’objection de Plutarque.

Camérarius, qui avant Henri Étienne avait entrepris de justifier Hérodote, avait bien senti où était le mal :

  1. Herod., lib. III, cap. XL, pag. m. 178.
  2. Ibidem.
  3. Idem, lib. VII, cap. X, p. 388. M. de Valois, in Ammian. Marcell., lib. XIV, cap. XI, pag. 59, cite ceci comme tiré duVIe. livre d’Hérodote.
  4. Ἐπεάν σϕι ὁ θεὸς ϕθονήσας. Quoties Deus iis quibus invidet. Ibid.
  5. Ibidem.
  6. Henr. Stephanus, in Apologiâ pro Herodoto, præfixa editioni latinæ Herodoti Francof. 1595, in-8o., pag. 24, 25.
  7. Il met ici ce que j’ai cité du VIIe. livre d’Hérodote, cap. X.
  8. Ils sont d’Hésiode.
  9. ........ .........Valetima summis
    Mutare, et insignem attenuat Deus,
    Obscura promens...............
    Horat., od. XXXIV, lib. I.