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PÉRICLÈS.

mais il n’avait point trouvé d’autre remède que de donner le change, et de traiter de vaine chicanerie le point principal de objection. Voici ses paroles : Nam quod exagitat (Plutarchus) præclaram sententiam de instabili et incertâ fortunâ rerum humanarum, quam Herodotus [* 1] Soloni attribuerit (cui quidem similes et alibi leguntur), nimiæ sapientiæ et pietati hominis concedatur : qui veritus si, ne si ita de Deo loquamur, ut humanus intellectus quæ dicuntur percipere possit, parùm pii esse videamur. Cur ergò Deo oculos, manus, pedes, aures attribuimus ? cur dicimus Deum trasci ? cur ulcisci ? etiam vereri profectò, tentare, pœnitere, lætari, dolere. πόῤῥω γὰρ λύπης καὶ χαρᾶς ἵδρυται τὸ θεῖον. Sinè quibus illa ne intelligi quidem possunt. Quid Xenophon (quo nemo fuit numinis colentior, nemo observantior, nemo impietatis ergà Deum acrior hostis) ? nonne eamdem sententiam ponere non dubitavit in præclaro illo opere suo historiæ rerum Græcarum ? sic enim ait [* 2], καὶ ὁ θεὸς δέ, ὡς ἔοικε, πολλάκις χαίρει τοὺς μὲν μικροὺς μεγάλους ποιῶν, τοὺς δὲ μεγάλους μικρούς. Hæc igitur sacrilega est in Herodoto sententia, quia secundùm hominum intelligentiam ϕθονερòν dixit esse τὸ θεῖον. Sed hæc quàm sint futilia quis non videt [1] ? Il est clair qu’il donne le change ; car on n’avait point blâmé Hérodote d’avoir dit que la condition des choses humaines est très-fragile, on le blâma d’avoir dit que l’humeur jalouse de Dieu est la cause de cette grande fragilité, et il n’est nullement nécessaire, pour représenter à l’esprit humain les inconstances de la fortune, de recourir à une image qui nous fasse concevoir la divinité comme un être qui porte envie au bonheur des hommes. De plus, il y a une très-grande différence entre les choses que d’autres auteurs, et même l’Écriture Sainte, ont attribuées à Dieu, et la jalousie qu’Hérodote lui impute. Un œil et des mains, la colère, le repentir, la joie, la crainte, peuvent servir d’image pour représenter au peuple la conduite de la Providence ; car nous n’envisageons pas ces choses comme des faiblesses incompatibles avec l’honnête homme, et avec un excellent prince. Être jaloux de sa gloire, et n’en point souffrir l’usurpation, ne passe point pour un défaut parmi les hommes ; on croit même que c’est une qualité digne des grands rois et des héros. Voilà pourquoi l’Écriture ne fait point difficulté de donner à Dieu une telle jalousie. Mais être jaloux du bonheur d’autrui, et ruiner les gens parce que leur prospérité nous fait sentir les morsures de l’envie, c’est une des plus honteuses qualités qui se puissent concevoir ; les plus lâches artisans ne sauraient souffrir qu’on les en accuse. Très-peu de gens peuvent éviter cette maladie ; mais personne n’ose confesser qu’il en soit atteint On avouera hautement qu’une noble émulation d’égaler ou de surpasser le mérite et la gloire des grands hommes nous anime à de beaux projets ; mais non pas que la jalousie des prospérités d’un voisin nous engage à travailler à sa perte. Camérarius n’est donc pas trop excusable d’avoir employé les comparaisons qu’il a mises en avant. Les expressions de Xénophon ne peuvent guère servir à justifier Hérodote ; car si elles signifient ue Dieu se donne souvent le plaisir de bouleverser la disposition des choses, par la réduction des grands à la condition des petits, et par l’élévation des petits à la condition des grands ; si elles signifient, dis-je, que Dieu fait cela à ses heures de récréation, et que c’est son jeu de paume, à peu près comme les princes se divertissent d’un côté à faire tuer de grosses bêtes dans des combats de taureaux, pendant que de l’autre ils comblent de caresses un petit chien, elles sont aussi impies que les phrases d’Hérodote. Ce serait donc justifier une impiété par une impiété. Mais rien ne demande que l’on donne ce sens-là aux paroles de Xénophon. On peut leur donner un sens raisonnable en supposant qu’il a voulu dire que Dieu se plaît à cette fréquente vicissitude des conditions, parce que sa qualité de juge, et de père commun des hommes, exige cela de lui [2].

  1. (*) Clione, c. 32.
  2. (*) Hellenicon., l. 5.
  1. Joach. Camerarius, Prœmio in Herod., pag. 5, edit. Genev., 1618, in-folio.
  2. Conférez ce que dessus, remarque (F) du second article Lucrèce, tom. IX, pag. 512.