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PÉRICLÈS.

minel de Cimon, antérieur au temps dont parle Athénée [1]. Il est bon de noter cela ; car si Plutarque eût parlé d’une sollicitation postérieure au rappel de Cimon, nous aurions sujet de croire que Périclès ne fut favorable à cet exilé, que pour s’acquitter de ce qu’il devait à Elpinice. La réponse rapportée par Plutarque nous conduirait à ce sentiment. Elpinice, se souvenant que ses dernières faveurs accordées à Périclès l’avaient engagé à consentir que Cimon fût rappelé, se fût encore adressée à lui pour le prier de ne pas nuire à son frère, embarrassé dans un procès criminel ; mais Périclès lui aurait fait une réponse dont le sens serait : n’espérez rien de vos sollicitations, vous n’êtes plus ce que vous étiez lorsque l’amoureux déduit que vous m’accordâtes me porta à rendre de bons offices à votre frère ; vous êtes présentement trop vieille pour mériter que je fasse un pareil échange de courtoisie avec vous. Mais, comme je l’ai déjà dit, Plutarque suppose que cette réponse fut faite avant l’ostracisme de Cimon. Quoi qu’il en soit, nous apprenons d’Athénée que notre Périclès fut fort adonné à l’amour [2].

(O) J’ai fait espérer qu’on verrait ici l’histoire d’..Aspasie. ] Cette femme était de Milet : elle marcha sur les traces de Thargélie, qui par sa beauté et par son esprit avait gagné l’affection des principaux Grecs de l’Ionie, et les avait engagés à favoriser le roi de Perse [3]. Aspasie était si habile, que Socrate allait chez elle et y amenait ses amis [4]. Parlons plus clairement, et disons que ce fut elle qui lui enseigna la rhétorique et la politique. Ἀσπασία μέν τοι ἡ σοϕὴ τοῦ Σωκράτους διδάσκαλος τῶν ῥητορικῶν λόγων. Aspasia sapiens fœmina Socratis in eloquentiæ studiis magistra [5]. Πλάτων ἐν τῷ Μενεξένῳ τὸν Σωκράτην παρ᾽ αὐτῆς ϕησὶ μαθεῖν τὰ πολιτικά. Plato in Menexeno testatur, Socratem ab eâ didicisse politica [6]. Ce qu’il y a de plus admirable, est que ceux qui la fréquentaient menaient chez elle leurs femmes, pour leur faire entendre ses discours et ses leçons, et néanmoins elle nourrissait dans sa maison plusieurs courtisanes. Τὰς γυναῖκας ἀκροασομένας οἱ συνήθεις ἦγον εἰς αὐτήν, καίπερ οὐ κοσμίου προεςῶσαν ἐργασίας, οὐδὲ σεμνῆς ἀλλὰ παιδίσκας ἑταιρούσας τρέϕουσαν. Fœminasque ad audiendam eam duxerunt familiares : licet officinam tractaret parùm decoram et honestam, quæ puellas ad quæstum corpore faciendum aleret [7]. Elle entendait bien la politique, et l’on disait que Périclès s’attachait à elle, parce qu’elle avait une grande intelligence des maximes du gouvernement ; mais il y eut d’autres causes : qui formèrent leur liaison. L’amour fut de la partie : Périclès n’aimait point sa femme, et la céda de fort bon cœur à un autre et puis il se maria avec Aspasie, et l’aima passionnément. L’historien [8] dont j’emprunte tous ces faits rapporte comme une preuve fort singulière de cet amour, une chose qui passerait aujourd’hui pour une preuve très-ridicule. Périclès, dit-il, n’allait jamais au sénat, et n’en revenait jamais, sans donner un baiser à Aspasie [* 1]. Αὐτὸς δὲ τὴν Ἀσπασίαν λαβὼν, ἔςερξε διαϕερόντως· καὶ γὰρ ἐξιών, ὥς ϕασι, καὶ εἰσιὼν ἀπ᾽ ἀγορᾶς, ἠσπάζετο καθ᾽ ἡμέραν αὐτὴν μετὰ τοῦ καταϕιλεῖν. Aspasiam urorem duxit, quam mirè dilexit, nam, sive exiret, sive rediret à foro, salutabat semper eam osculo [9]. Cet auteur peut-être n’a pas bien pris ce qu’il avait lu sur ce sujet. J’aimerais mieux dire, comme l’insinue l’auteur d’Athénée [10], que Périclès allait voir Aspasie deux fois le jour,

  1. * L’abbé Granet, cité par Joly, trouve que ces embrassemens n’étaient point une preuve ridicule de la tendresse de Périclès. Voyez Observations sur les ouvrages de littérature, I, 205.
  1. Plut., in Pericle, pag. 157, E. Voyez-le aussi in Vitâ Cimonis, pag. 487, E ; où il cite Stésimbrotus, historien contemporain.
  2. Ην δ οὗτος ἀνὴρ πρὸς ἀϕροδίσια πάνυ καταϕερής. Fuit quidem ille ad Venerem multùm propensus. Athen., lib. XIII, p. 580, F.
  3. Plut., in Pericle, pag. 165.
  4. Idem, ibidem.
  5. Athen., lib. V, pag. 210. Voyez aussi Lucien, de Saltatione, pag. m. 923, tom. I.
  6. Harpocration, Voce Ἀσπασία.
  7. Plut., in Pericle, pag. 165, C.
  8. Idem, ibidem.
  9. Idem, ibidem, D.
  10. Ἀντισθένης δὲ ὁ Σωκρατικὸς ἐρασθέντα ϕησὶν αὐτὸν Ἀσπασίας δὶς τῆς ἡμέρας εἰσιόντα καὶ ἐξιόντα ἀπ᾽ αὐτῆς ἀσπάζεσθαι τὴν ἄνθρωπον. Antisthenes Socraticus narrat amatorem illum Aspasiæ, bis quotidiè salutaturum ad eam introire, exireque indè solitum. Athen., lib. XIII, pag. 589, E.