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PYTHAGORAS.

donec Sylla dictator ibi curiam faceret. Mirumque est, illos patres Socrati cunctis ab eodem deo sapientiâ prælato Pythagoram prætulisse, aut tot aliis virtute Alcibiadem, aut quenquam utroque Themistocli. Pline s’étonne que les Romains aient choisi Pythagoras préférablement à Socrate. Mais d’où savait-il qu’ils eussent ouï parler de l’oracle rendu pour Socrate ? Tout bien compté il se trouvera qu’ils choisirent le meilleur. On peut encore les justifier par ces deux raisons [1] : ils connaissaient moins Socrate que Pythagoras ; car celui-ci avait enseigné long-temps en Italie avec beaucoup de réputation : et ils étaient prévenus en faveur de Pythagoras, parce qu’ils s’imaginaient que Numa avait été son disciple. C’était l’opinion populaire ; et quelque fausse qu’elle fût, les magistrats ne laissaient pas de la fomenter. Cela parut lorsqu’on prétendit avoir trouvé le tombeau de Numa et ses livres [2] ; car on divulgua qu’ils concernaient la philosophie pythagoricienne, et il y eut des historiens qui s’accommodèrent à ce sentiment. Adjicit Valerius Antias libros Pythagoricos fuisse : vulgatiæ opinioni quâ creditur Pythagoræ auditorem fuisse Numam : mendacio probabili accomodatâ fide [3]. Cassius Hémina et Lucius Piso suivirent cette opinion populaire dans leurs écrits [4]. Si l’on me demande pourquoi les Romains aimaient mieux croire que Numa eût été disciple de Pythagoras, que d’attribuer à l’Italie la gloire d’avoir produit un roi si sage, qui ne devait sa philosophie aux leçons d’aucun étranger, je réponds, 1o. qu’apparemment on ne songea pas à cet intérêt de la patrie, quand on commença de donner cours à cette opinion ; 2o. que l’on crut peut-être persuader plus facilement le mérite de ce prince, en lui donnant un si fameux précepteur. Était-il aisé de croire qu’un barbare, sans l’aide des Grecs, eût pu parvenir à ce haut point de capacité ? Saint Augustin eût cru sans peine que Numa fut l’un des disciples de Pythagoras ; car il dit que Thalès a vécu pendant le règne de Romulus [5]. Or nous savons que Thalès et Phérécyde ont été contemporains, et que Pythagoras fut disciple de Phérécyde. Quelques-uns même prétendent que Thalès le fut aussi [6]. Il est pour le moins certain qu’Anaximander, disciple de Thalès, et Pythagoras, ont vécu en même temps [7]. Aucun des commentateurs de Diogène Laërce ne nous avertit de la mauvaise version de ces paroles, Φιλοσοφίας δὲ δύο γεγόνασι διαδοχαὶ, ἥ τε ἀπὸ Ἀναξιμάνδρου, καὶ ἡ ἀπὸ Πυθαγόρου, τοῦ μὲν Θαλοῦ διακηκοότος. Cæterum philosophiæ duæ fuêre successiones, quarum altera ab Anaximandro, altera à Pythagorâ fluxit. Anaximandri Thales auditor fuit [8]. Il est visible qu’elles signifient non pas que Thalès fut disciple d’Anaximander, mais qu’au contraire Anaximander le fut de Thalès.

Finissons ceci par un passage de Pline [9], où il est dit que Pythagoras était en Égypte lorsque Semnésertéus y régnait. Cela fait un peu de peine, quand on se souvient que Pythagoras alla en Égypte avec des lettres de récommandation de Polycrate, tyran de Samos, à Amasis, roi d’Égypte. C’est ce que Laërce assure [10]. Le père Hardouin [11] a cru lever la difficulté, en supposant que Pythagoras alla en Égypte sous le règne d’Amasis, et qu’il y fit assez de séjour pour y voir la mort de ce prince, et le règne de Semnésertéus son successeur. Mais cette supposition est combattue par Hérodote, qui nous apprend que Cambyse subjugua l’Égypte six mois après la mort d’Amasis, auquel Psamménitus son fils avait

  1. Vossius, de Philosoph. sect., pag. m. 39, les allègue.
  2. Cinq cent cinquante-cinq ans depuis le commencement de son règne. Pline, lib. XIII, cap. XIII ; et non pas environ quatre cents ans après sa mort, comme dit Plutarque, in Numâ, p. 74.
  3. T. Livius, lib. XL, pag. m. 783.
  4. Voyez Pline, lib. XIII, cap. XIII.
  5. Eodem Romulo regnante Thales Milesius fuisse perhibitur unus è septem sapientibus. August. de Civit. Dei, lib. XVIII, cap. XXIV.
  6. Tzetzes l’assure. Voyez ses paroles dans M. Ménage, in Laërtium, cap. I, num. 119.
  7. Diogène Laërce, lib. II, dit qu’Anaximander a fleuri principalement du temps de Polycrate, tyran de Samos.
  8. Laërtius, in Præmio, num. 13.
  9. Is obeliscus quem divus Augustus in circo magno statuit, excisus est à rege Semneserteo, quo regnante Pythagoras in Egypto fuit. Plin., lib. XXXVI, cap. IX, pag. m. 297.
  10. Diog. Laërt. lib. VIII, num. 3.
  11. In hunc locum Plinii.