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RONSARD.

de Binet : cela n’est pas vrai : lorsque cet auteur nous conte que Pierre Ronsard mourut le 27 décembre 1585, il lui donne 61 ans, 3 mois, 16 jours de vie[1]. Il l’a donc cru né l’onzième jour de septembre 1524, d’où en passant nous recueillerons une erreur de Sainte-Marthe[2]. Mais ne dissimulons point qu’il y a ici quelque incertitude qui le pourrait excuser. On ne sait que par un passage de Ronsard qu’il soit né la même année que François Ier, fut pris ; pour le moins est-il certain que du Perron n’allégua point d’autre preuve contre ceux qui n’étaient pas de ce sentiment. « Quand au temps de sa naissance, dit il[3], il y en a diverses opinions : les uns pensent qu’il soit né l’an cinq cens vingt deux, et par ainsi mort en son an climacterique, chose que l’on a remarqué arriver à beaucoup de grands personnages : les autres s’arrestent à ce qu’il en a escrit, ayant signalé l’année de sa nativité par la prise du grand roy François, comme souvent il se rencontre de ces fortunes notables à la naissance des hommes illustres : là où nous pouvons encor observer en passant, que la prise de ce roy devant Pavie, qui est l’accident duquel il a voulu marquer l’année de sa nativité, se rencontre justement en un mesme jour que celuy auquel nous celebrons la memoire de sa mort, qui est la feste de sainct Matthias[4]. » Cette preuve unique de du Perron se trouvera faible, quand on saura que Ronsard dans l’un de ses poëmes, s’est donné un âge qui ne convient point à un homme né l’an 1524 ou l’an 1525. Voici ses paroles ; elles sont un peu grossières, et peu convenables au sujet ; car il était question de répondre à des adversaires mordans et railleurs, qui l’accusaient entre autres choses d’une vie voluptueuse.

Tu dis que je suis vieil, encore n’ay-je atteint
Trente et sept ans passez, et mon corps ne se plaint
D’ans ny de maladie, et en toutes les sortes
Mes nerfs sont bien tendus, et mes veines bien fortes :
Et si j’ai le teint palle et le cheveu grison,
Mes membres toutesfois ne sont hors de saison[5].


Le poëme où il parle ainsi fut composé quelques semaines après la mort du duc de Guise[6], et par-conséquent au printemps de l’an 1563. Un hommé qui n’eût eu alors que trente-sept ans, serait né l’an 1526, et sur ce pied-là nous ne devrions pas blâmer Scévole de sainte Marthe. Il est un peu surprenant que notre poëte n’ait pas bien su quand il était né.

(C).... Des traits d’esprit aussi peu solides que ces réfléxions. ] Peu s’en faut que le jour de sa naissance ne fust aussi le jour de son enterrement : car comme on le portoit baptizer du chasteau de la Poissonniere en l’eglise du lieu, celle qui le portoit traversant un pré, le laissa tomber pas mesgarde à terre, mais ce fut sur l’herbe et sur les fleurs, qui le receurent plus doucement : et eut encor cet accident une autre rencontre, qu’une damoiselle qui portoit un vaisseau plein d’eau rose et d’amas de diverses herbes et fleurs selon la coustume, pensant aider : à recueillir l’enfant, luy renversa sur le chef un partie de l’eau de senteurs ; qui fut un presage des bonnes odeurs dont il devoit remplir la France, des fleurs de ses doctes escrits[7]. » Voilà ce qu’on appelle concetti au delà des monts. M. le Pays ne manqua pas de rimer sur cette pensée, lorsqu’il fit l’Histoire de la Muse de Ronsard. Il naquit d’un chevalier de l’ordre, le jour que François Ier, fut pris à la bataille de Pavie ; et l’on a dit à sa gloire que La France ne se fût jamais consolée d’un jour si malheureux, si ce même jour ne lui avait donné un si

  1. Binet, Vie de Ronsard, pag. 156.
  2. Nequè sexagesinum ætatis annum excessit (Ronsardus) articulari morba sævissimè vexatur. Sammarthan., Elogior., lib. I, pag. m. 80.
  3. Du Perron, Oraison funèbre de Ronsard, pag. m. 190.
  4. J’ai rapporté tout le passage, afin de montrer ce que j’ai dit ci-dessus, citation (13), que du Perron ne se servit de la pensée du prétendu dédommagement de la prison de François Ier.
  5. Ronsard, Réponse à quelque ministre, pag. 86 du IXe. tome des ses Œuvres, in-12.
  6. Voyez l’épître qui est au-devant de ce poëme.
  7. Claude Binet, Vie de Ronsard, pag. 114.