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SAPHO.

Lesbos en Égypte[a], et y devint amoureux d’une fameuse courtisane, que quelques-uns nomment Rhodope ; mais Sapho l’a nommée Doricha. Elle gronda fort son frère sur ce vilain engagement (H). On dit que les Mityléniens lui firent l’honneur, après sa mort, de faire graver son image sur leur monnaie (I). Quelques auteurs ont fait mention d’une autre Sapho (K).

M. Moréri n’en a trouvé une dans Martial que par une extrême inadvertance[b]. Nous lisons dans Aristote la preuve dont Sapho s’était servie pour faire voir que le mourir est un mal. Les dieux, disait-elle[c], en ont jugé de la sorte, car autrement ils mourraient. Il y avait dans le prytanée de Syracuse une très-belle statue de Sapho ; voyez ce que Cicéron en dit lorsqu’il reproche à Verrès de l’avoir volée [d]. C’était un ouvrage de Silanion, et apparemment le même que celui dont Tatien a parlé en reprochant aux gentils les honneurs qu’ils avaient rendus à de malhonnêtes femmes. Voyez la citation (59) des remarques de cet article.

  1. Strabo, lib. XVII, pag. 556. Athen., lib. XIII, pag. 596.
  2. Voyez la remarque (K) vers la fin.
  3. Ἢὥσπερ Σαπϕὼ ὅτι τὸ ἀποθνήσκειν κακόν· οἱ θεοὶ γὰρ οὕτω κεκρίκασιν· απεθνησκον γὰρ ἄν. Aut quemadmodùm Sapho, mori malum esse, Dei enim sic judicârunt : alioqui mortui essent, Arist. Rhetor. lib. II, cap. XXIII, pag. m. 445, E.
  4. Cicero in Verrem, orat. VI, folio m. 78.

(A) Elle vivait... en la 42e. olympiade. ] Cela réfute pleinement le conte qu’on a débité des amours d’Anacréon et de Sapho : car encore qu’il ne faille pas mettre entre eux l’intervalle de cent ou de six-vingts ans, que mademoiselle le Fèvre y a mis[1], il est pourtant vrai que leurs âges ne s’accordent pas assez pour un commerce de galanterie. On peut fort bien supposer qu’en la 52e. olympiade Anacréon était capable de se sentir ; mais puisque les chronologues mettent Sapho dans la 42e. olympiade, il en faut conclure qu’elle était alors dans sa principale réputation, et qu’elle pouvait avoir quelque trente ans. Or, quand elle se précipita, elle était fort amoureuse d’un jeune homme qu’elle s’était crue capable de regagner : il n’y a donc aucune apparence qu’elle n’ait vécu jusques au temps qu’Anacréon vint au monde, et l’on peut être très-assuré qu’il n’a pu la voir ni en devenir amoureux. C’est donc pour donner carrière à son esprit qu’Hermésianax supposa qu’elle fut aimée d’Anacréon. Ἐν τούτοις ὁ Ἑρμησιάναξ σϕάλλεται συγχρονεῖν οἰόμενος Σαπϕὼ καὶ Ἀνακρέοντα τὸν μὲν κατὰ Κῦρον καὶ Πολυκράτην γενόμενον, τὴν δὲ κατ᾽ Ἁλυάττην τὸν Κροίσου πατέρα...... Ἡγοῦμαι παίζειν τὸν Ἑρμησιάνακτα περὶ τούτου τοῦ ἔρωτος. In his fallitur Hermesianax, qui Sapho coævam Anacreonti fuisse putat, cùm ea sub Alyatte Crœsi patre vixerit, Anacreon verò sub Cyro et Polycrate...... Hermesianactem per lusum de Anacreontis amore id scripsisse arbitror [2]. D’autres[3], par la même licence poétique, firent courir certains vers où Anacréon faisait le galant de Sapho, et où celle-ci lui répondait. Diphilus[4], poëte comique, donna pour galans à Sapho, dans l’une de ses comédie Archilochus et Hipponax. C’est encore le même jeu d’esprit. Mademoiselle de Scudéri n’a donc point mis en usage l’anachronisme sans des exemples qui sont dans le cas, et pour ainsi dire les mêmes en nombre, lorsqu’elle a supposé[5] qu’Anacréon fit l’amour à Sapho. Sapho eût été telle qu’elle paraît dans le grand Cyrus, c’aurait la personne la plus achevée de son siècle.

  1. Préface d’Anacréon.
  2. Athenæus, lib. XIII, pag. 599.
  3. Chameæleon, apud Athen. lib. XIII, pag. 599.
  4. Apud eundem, ibid.
  5. Dans le grand Cyrus.