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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T13.djvu/106

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SAPHO.

Mademoiselle le Fèvre m’avait donné l’exemple de ne m’en point fier à Platon ni à Athénée ; car elle a dit que Sapho n’était pas belle ; qu’elle n’était ni grande ni petite ; qu’elle avait le teint fort brun, et les yeux extrêmement vifs et brillans. Que dirai-je de Maxime de Tyr[1], qui prétend comme elle était noire et petite Socrate[2] ne l’a nommée belle qu’à cause de la beauté de ses vers ?

(H) Elle gronda fort son frère sur ce vilain engagement. ] Voici comment Ovide nous apprend cette particularité.

Arsit inops frater victus meretricis amore,
Mistaque cum turpi damna pudore tulit.
Factus inops agili peragit freta cærula remo,
Quasque malè amisis, mine malè quærit opes.
Me quoque, quod monui benè multa fideliter, odit ;
Hoc mihi libertas, hoc pia lingua dedit.


Jugez de quelles représailles il pouvait user, et de quel poids pouvaient être les remontrances d’une telle sœur. Athénée remarque que les invectives contre la courtisane de Naucratis étaient fondées sur les sommes excessives qu’elle s’était fait donner[3]. Hérodote donne le nom de Rhodopis à la courtisane, et dit que Charaxus, qui dépensa une grosse somme pour la racheter, fut fort maltraité par les invectives de Sapho sa sœur[4].

(I) On dit que les Mityléniens firent graver son image sur leur monnaie. ] Je remarquerai à ce sujet que Lambin, pour n’avoir pas entendu un passage de Pausanias[5], a dit faussement qu’il y avait dans la forteresse d’Athènes une statue de Sapho. Anacreontis Teii, dit-il[6], qui majore ex parte res amatorias scripsit, statua in arce Atheniensium prima post Sapphonem locata est. Voici le grec. Τοῦ δε τοῦ Ξανθίππου πλησίον ἕςηκεν Ἀνακρέων ὁ Τήϊος, πρῶτος μετὰ Σαπϕὼ τὴν Λεσβίαν τὰ πολλὰ ὧν ἔγραψεν ἐρωτικὰ ποιήσας. Il est évident que ces mots grecs ne veulent dire autre chose, sinon que la statue d’Anacréon a été mise auprès de celle de Xanthippe ; la statue, dis-je, d’Anacréon, qui est le premier après Sapho qui ait consacré à des matières d’amour la plupart des choses qu’il a écrites.

Je voudrais bien savoir si Thevet se trompe lorsqu’il assure que les Romains érigèrent en la mémoire de Sapho une statue de porphyre richement ouvrée[7]. C’est M. le Fèvre qui a remarqué que les Mityléniens firent graver l’image de cette héroïne sur leur monnaie ; et la traitèrent par-là de souveraine après sa mort [8]. Il ne cite personne, mais M. Reland, qui a fait des notes sur cet ouvrage de M. le Fèvre[9] a rapporté ce passage de Julius Pollux, οἱ Μυτιληναῖοι μὲν Σαπϕὼ τῷ νομίσματι ἐνεχάραττον, et il a observé que l’on a encore des médailles de Sapho qui portent le nom des Mityléniens ΜΥΤΙΛΕΝΑΙΩΝ. Thevet raconte qu’il a tiré le portrait de Sapho d’une médaille antique qu’il avait rapportée de l’île de Lesbos, dont la pareille fut donnée avec plusieurs autres au baron de la Garde, lors ambassadeur. de France à Constantinople, par le premier médecin du sultan Soliman [10]. Aristote observe que les Mityléniens avaient rendu des honneurs à Sapho ; mais il ne dit point en quoi consistèrent ces honneurs[11]. Tatien reproche aux Grecs la statue de la courtisane Sapho, faite par Silanion ; de cette courtisane, dit-il, qui a chanté elle-même sa lubricité, el qui était amoureuse jusqu’à la rage [12]. Καὶ ἡ μὲν Σαπϕὼ γύναιον πορνικὸν ἐρωτομανὲς καὶ τὴν ἑαυτῆς ἀσέλ-

  1. Orat. VIII, pag. m. 86.
  2. Id est Plato, in Phædro, pag. 1214.
  3. Ἥν ἡ καλὴ Σαπϕὼ ἐρωμένην γενομένην Χαράξου του ἀδελϕοῦ αὐτῆς, κατ᾽ ἐμπορίαν εἰς τὴν Ναύκρατιν ἀπαίροντος, διὰ τῆς ποιήσεως διαϐάλλει ὡς πολλὰ τοῦ Χαράξου νοσϕισαμένην. Quàm pulchra Sappho, Charaxi fratri suo mercaturæ gratiâ Naucratim profectò nave dilectam versibus suis proscindit, quòd multà illum pecunia emunxisset. Athens., lib. XIII, cap. VII, pag. 596.
  4. Herod., lib. II, cap. CXXXV.
  5. Ex lib. I, pag. 23.
  6. Lambin., in Horar, od. XVII, lib. I.
  7. Thevet, Éloges des savans Hommes, tom. I, pag. 223 ; édition de 1671, in-12.
  8. Le Fèvre, Vie des Poëtes grecs, pag. m. 23
  9. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, oct. 1700, pag. 461.
  10. Thevet, Élog., tom. I, pag. 224.
  11. Aristot., Rhetor., lib. II, cap. XXIII, pag. 445. M. Reland, dans ses Remarques sur M. le Fèvre, cite les paroles d’Aristote.
  12. Tatian., Orat. contra Græcos, pag. m. 168, B.