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SARA.

femme mariée. La conclusion raisonnable de cela était de craindre qu’on ne se défît de lui secrètement, afin de retenir Sara sans que personne pût dire qu’on l’avait enlevée à son mari ; car de public n’aurait pas eu connaissance de ce mari, si on l’eût bientôt dépêché. Cette crainte n’est pas le mauvais endroit de la pièce. Qui ne sait l’empressement qu’eut David de faire périr sous main le mari de sa maîtresse ? L’envie d’être bien traité comme frère de la belle Sara est plus blâmable que la peur d’être tué. Détestons néanmoins le brutal emportement de Faustus le manichéen[1], et contentons-nous de ce que dit saint Jérôme sur tout ceci[2]. Saint Chrysostome [3] et saint Ambroise y ont trouvé la matière d’un beau panégyrique pour la charité de Sara, qui voulut bien, en faveur de son mari, exposer sa pudicité à tous les risques du naufrage. Extrema adiit, sororem se ejus asseruit, contenta, si ita esset necesse, periclitari pudore potiùs quàm virum salute : ut tueretur maritum mentita est germanitatem, ne insidiatores pudoris ejus tanquam æmulum et vendicem uxoris necarent [4]. Origène était bien d’un autre avis : il trouvait tant de scandales dans le sens littéral, qu’il se sauva dans les types et dans les allégories. Alioquin, dit-il[5], quæ nobis ædificatio erit legentibus Abraham tantum patriarcham non solùm mentitum esse regi, sed pudicitiam conjugis prodidisse ? Quid nos ædificat tanti patriarchæ uxor, si putetur contaminationibus exposita per conniventiam maritalem ? Hæc Judæi putent, et si qui sint amici litteræ non spiritûs. D’autres recourent à l’inspiration, et prétendent qu’Abraham fut dirigé par un esprit prophétique[6]. C’est le moyen de ne demeurer jamais court. Il faudrait seulement ménager mieux ce remède, et ne s’en servir que comme de l’extrême-onction. Je vois des gens[7] qui l’appliquent à notre Sara touchant la prière qu’elle fit à son mari de coucher avec sa servante. Quant à ceux qui disent [8], pour excuser Abraham, que sa vie était si nécessaire à l’accomplissement de la promesse de Dieu, qu’il devait la conserver aux dépens de toutes choses, jusques à l’honneur de sa femme inclusivement, ils ne voient pas qu’ils se réfutent eux-mêmes ; ils emploient pour sa justification ce qui lui fait son procès ; car si sa vie était nécessaire aux décrets de Dieu, il devait être assuré que personne ne le tuerait.

Les casuistes relâchés, et protecteurs des équivoques, se prévalent extrêmement de cette conduite du patriarche. Voyez la dernière réponse aux Provinciales ; voyez, dis-je, les Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe[9].

(C) Sa pudicité aurait fait naufrage, si Dieu n’y eût mis la main. ] L’Écriture ne nous dit pas quel fut le mal qui empêcha Pharaon de jouir de Sara : elle dit seulement que Dieu le frappa de grandes plaies, ensemble sa maison[10]. À l’égard d’Abimélec, l’Écriture dit d’abord que Dieu ne fit que le menacer en songe de le faire mourir avec tout ce qui était à lui[11] ; mais, sur la fin du chapitre, elle remarque qu’à la prière d’Abraham, Dieu guérit Abimélec, sa femme et ses servantes, et qu’après cela elles enfantèrent ; car, ajoute l’Écriture, l’Éternel avait entièrement resserré toute matrice de la maison d’Abimélec, à cause de Sara, femme d’Abraham. On aurait, je pense, plutôt tué les interprètes que de les empêcher de faire des conjectures sur ces plaies de Pharaon : le champ est plus vaste cet égard que par rapport à Abimélec, vu que l’Écriture semble nous déterminer,

  1. Il accusait Abraham, Quòd matrimonii sui infamissimus nundinator avaritiæ ac ventris causâ duobus Abimelech et Pharaoni, diversis temporibus, Saram conjugem sororem mentitus, quòd erat pulcherrima, in concubitum venditârit Vide Augustinum contra Faustum, lib. XXII, cap. XXXIII.
  2. Il l’appelle fœdam necessitatem.
  3. Homil, XXXII, in Genes. Voyez la remarque (A) de l’article Abimelech, tom. I, pag. 74.
  4. Ambros., de Abrah., cap. II.
  5. In cap. VI Geneseos, Heidegger, p. 149, prétend qu’Origène a insulté et censuré Abraham quòd per conniventiam maritalem Saram contaminationibus exposuerit. Mais comment lui attribuerait-il cela, puisqu’il rejette le sens littéral.
  6. Paulus Burgensis, apud Heidegg., p. 149.
  7. Joseph., Antiq., lib. I, cap. X.
  8. Apud Heidegger., ubi suprà.
  9. Pag. 128 et suiv., édition de Hollande, 1656.
  10. Genèse, XII, 17.
  11. Genèse, XX.