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TURPIN.

leurs [1] de quelques anciens solitaires qui faisaient scrupule de voir leur propre nudité. Les païens n’ont point eu que je sache de tels exemples ; ils en sont demeurés aux termes de se cacher soigneusement aux yeux du prochain. Cela s’est vu non-seulement dans les femmes [2], mais aussi dans des hommes fort débauchés [3] : ainsi Pétrone ne s’avançait pas trop en disant, Quam ne ad cognitionem quidem admittere severioris notæ homines solent [* 1].

(B) On fit bon devoir d’en purger le monde. ] On verra un échantillon de ce soin dans les paroles suivantes [4] : A frere Jacques de More, de l’ordre des Freres Prescheurs, inquisiteur des bougres la province de France, pour don à luy fait par le roy, par ses lettres du 2 février 1373, pour et en recompensation de plusieurs paines, missions, et despens qu’il a eus, soufferts, et soustenus, en faisant poursuite contre les Turlupins et Turlupines qui trouvez, et pris ont esté en ladite province, et par sa diligence pugnis de leurs mesprentures et erreurs, pour ce cinquante francs, vallent dix livres Parisis. Gaguin, en la vie de Charles V, remarque qu’on brûla les livres et vêtemens des Turlupins au marché aux pourceaux de Paris, hors la porte Saint-Honoré ; qu’on brûla aussi Jehanne Dabentonne et un aultre avecque elle qui étaient les deux principaux prescheurs de ceste secte, mais cettui, dit-il, que sans nom mettons, comme il fut trepassé en prison avant la sentence de sa cremation, et à ce que son corps ne pourrist on le garda quinze jours dedans un tas de chaux, et au jour determiné pour sa punition fut bruslé. Du Tillet dit pareillement que sous Charles V la superstitieuse religion des turlupins, qui avaient donné nom à leur secte la fraternité des pauvres fut condamnée et abolie, et leurs cérémonies, livres et habits condamnés et brûlés. Or comment accorder, avec ces habits que l’on brûla, ceux qui disent que les turlupins allaient, nus ? C’est qu’il faut supposer des bornes à la nudité de toutes ces espèces de fanatiques, à l’égard des temps et des lieux, ou à l’égard de certains membres. Nous avons vu que les adamites ne se dépouillaient que dans les poêles où ils tenaient leurs assemblées, et que les picards condamnaient surtout ceux qui ne découvraient pas la partie honteuse. Le froid et la pluie ne permettait pas qu’on fût toujours nu ; il n’y a point d’apparence qu’on osât se produire nu réglément et continuellement dans les villes où l’on n’était pas le plus fort ; il semble, en particulier, que les turlupins ne découvraient que les parties qui font la diversité sexes. Turelupini cynicorum sectam suscitantes de nuditate pudendorum et publico coïtu [5]. Ce que j’ai cité de Gerson se réduit à cela même. Ils avaient donc des habits nonobstant leur impudence, et il est à croire que devant les personnes non initiées, devant ces bonnes dévotes qu’ils tâchaient d’attirer dans leurs filets, ils ne montraient pas d’abord toutes leurs pièces.

  1. * Dans son article Picards, remarque (G), Chaufepié justifie les chrétiens du reproche d’avoir surpassé les païens en impudentes nudités, et de celui de s’appuyer sur le principe avancé par Bayle, supposé qu’il y ait eu des sectes chrétiennes aussi effrontées.
  1. Dans la remarque (F) de l’article Adamites tom. I, pag. 222
  2. Voyez l’article Olympias, tom. XI, pag. 234, remarque (I).
  3. Voyez le même article, là même.
  4. Ex computo Nicolaï Mauregart, burgensis Parisiensis de Auxiliis præposituræ Parisiens., an. 1374, apud Du Cange, Glossar., voce Turlupini.
  5. Génebrard, Chronic.

TURPIN, historien fabuleux des actions de Charlemagne et de celles de Roland. Il n’y a désormais personne qui le prenne pour Turpin, élevé à l’archevêché de Reims [* 1], par Charlemagne, ni qui ajoute aucune foi à ses narrations : mais quelques-uns croient qu’il n’est guère moins ancien que cet archevêque (A). D’autres aiment mieux dire qu’il a vécu au XIIe. siècle (B).

  1. * Voyez sur Turpin l’Histoire littéraire, de la France, par les bénédictins, tom. IV, pag. 200, et encore la notice de Lacurne de Sainte-Palaye dans les Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, tom. VII, première partie, pag. 280.