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VERGÉRIUS.

(B) Il était encore en vie sous le règne de Charles IX. ] Je n’en ai point d’autre preuve que l’épître dédicatoire des poésies de Jean-Antoine de Baïf. Elle est adressée à ce monarque, et contient ceci, entre autres choses,

Charle Etiene premier, disciple de Lazare,
Le docte Bonamy, de mode non barbare,
M’aprint a prononcer le langage Romain :
Ange Vergece Grec, à la gentile main
Pour l’écriture gréque, écrivain ordinére
De vos Granpére et Pere et le vostre, ut salère
Pour à l’accent des Grecs ma parole dresser,
Et ma main sur le trac de sa lettre adresser.


Vous verrez ci-dessous[1] un autre passage, où le nom de ce Candiot est écrit Vergece tout comme ici. Cela me fait soupçonner qu’au lieu de dire Vergerius en latin, il faudrait peut-être dire Vergecius.

(C) Il a été censuré trop violemment par un critique hollandais. ] On a vu dans la remarque (A) que Natalis Comes, et notre Vergérius, ont mis en latin le livre περὶ ποταμῶν καὶ ὀρῶν ἐπωνυμίας. On y trouve ces paroles[2] : Κάδμος τὸν κρηνοϕύλακα δράκοντα τοξεύσας, καὶ εὑρών ὥσπερ πεϕαρμακευμένον ϕόϐου τὸ ὕδωρ, περιήρχετο τὴν χώραν ζητῶν πηγήν. Natalis Comes les a traduites par celles-ci : Ubi Cadmus serpentem fontis custodem jaculis confodisset, invenissetque aquam quasi ob timorem veneno infectam, regionem lustravit fontem inquirens. Voyons la version de Vergérius : Cùm Cadmus fontis custodem draconem jaculis confecisset, et aquam ejus veneno infectam cerneret, eam abhorrens circuivit regionem ad investigandum fontem. Voici le jugement que Rutgersius a fait de ces deux versions. Je crois, dit-il[3], que Vergérius était ivre quand il parla de la sorte : et l’on ne doit pas s’étonner que Natalis Comes ait mal traduit un passage corrompu ; car il gâtait presque toujours les endroits mêmes où le texte était correct. Cette censure est si outrée à l’égard de Vergérius, qu’elle est moins capable de le déshonorer, que de flétrir la mémoire de Rutgersius. Non-seulement sa traduction est meilleure que celle de Natalis Comes, quoique le critique parle mille fois plus doucement de celle-ci que de celle-là ; mais aussi elle est la meilleure que l’on puisse faire, en supposant que le texte grec n’est pas corrompu. Le docte Maussac l’a pris tout de la même manière que Vergérius ; car voici sa traduction. Cùm Cadmus sagittis confixisset draconem qui fontem custodiebat, veritus ne aqua veneno infecta esset, circuivit regionem, alium fontem quo sitim levaret quærens. Ainsi, toute la faute de Vergérius est de m’avoir pas soupçonné, comme a fait Rutgersius[4] : qu’au lieu de ϕόϐον, il faut lire ἠκ ϕόνου hoc est, è sanguine sive tabo. Maussac ne l’a point non plus soupçonné. Je m’étonne que sa traduction n’ait pas été censurée par Rutgersius, et je crois que c’est à cause qu’elle lui était inconnue[* 1]. Le temps néanmoins pouvait permettre qu’il la connût[5] ; mais combien y a-t-il de livres imprimés depuis long-temps qui sont inconnus aux plus habiles ? Voilà Maussac qui n’avait jamais ouï parler d’aucune version de cet ouvrage lorsqu’il entreprit de le traduire[6], et depuis il vit à la vérité la traduction de Natalis Comes et celle de Turnèbe, mais non pas celle de Vergérius. On pourrait citer cent exemples de cette nature[* 2].

(D) Nicolas Vergérius….. fit des

  1. * L’auteur des Observations insérées dans Bibliothéque française, XXX, 12, dit que Bayle n’aurait pas dû parler ici d’une manière incertaine, puisque Rutgersius lui-même dit n’avoir connu que deux traductions, celles de Natalis Comes et de Angélus Vergérius.
  2. * Joly ne voit rien là d’étonnant. Le plus habile homme du monde ne peut tout savoir, et ignore toujours plus de livres et d’auteurs qu’il n’en connaît. À l’occasion de Maussac, Joly relève les erreurs de Rocolles, qui, en parlant du père et du fils, a confondu leurs ouvrages. Joly avoue le faire dans les propres termes de Leclerc.
  1. Dans la remarque (D).
  2. Au chapitre II, où il est parlé de la rivière Isménus.
  3. Equidem Vergerium cùm hæc scriberet, sobrium fuisse non puto. Nam in Natali mirandum non est si corrupta non rectè transtulit cùm illi penè fatale fuerit, malè vertendo, ut ille ait etiam ex græcis bonis latina facere non bona. Rutgersius, Var. Lect., lib. III, cap. XII, pag. 236
  4. Rutgersius, Var. Lect., l. III, cap. XII, pag. 235.
  5. Le livre de Fluviorum ac Montium Nominibus, traduit en latin par Philippe Jacques de Maussac, fut imprimé à Toulouse, l’an 1615, et celui de Rutgersius, à Leyde, l’an 1618.
  6. Voyez sa préface.