Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
109
ZUÉRIUS.

dénonciation, et qu’il n’a pour but de faire en sorte que la compagnie fasse informer du fait, et oblige M. Jurieu à publier les deux sermons tout tels qu’il les a prêchés.

Il est bon de se souvenir que ces sermons furent prêchés le 24 de janvier et le 21 de février 1694, et que la dénonciation parut au mois de mars de la même année, temps où les auditeurs avaient encore les idées toutes fraîches de ce qui leur avait été prêché. Cette circonstance est notable.

Voyons ce que fit le ministre dénoncé. Dès qu’il sut que plusieurs de ses auditeurs étaient choqués de sa doctrine, il envoya ses deux sermons à l’imprimerie. La presse roulait dessus, et ils eussent paru bientôt ; mais on arrêta l’impression dès que l’on eut vu la feuille volante du dénonciateur, et on prit d’autres mesures. On publia des Réflexions sur cette feuille volante ; on soutint qu’elle était pleine de faussetés ; car il est faux, ce sont les termes de l’auteur des Réflexions,

« 1°. Que l’on ait dit que les sentimens de haine soient bons et louables contre qui que ce soit, à prendre la haine pour une passion humaine, qui a son principe dans l’amour-propre.

 » 2°. Il est faux qu’on ait dit absolument qu’il faut témoigner cette haine aux hérétiques en ne les saluant pas et ne mangeant pas avec eux. On a dit là-dessus ce qu’ont dit saint Paul et saint Jean, modifié comme on le verra dans les sermons.

 » 3°. Il est faux qu’on ait dit qu’il faut rompre tout commerce de la vie civile avec les papistes, mennonites, arminiens, etc. C’est-à-dire qu’on ne devrait pas même prendre ni donner des lettres de change des Juifs dessus la bourse. Impertinence qui n’a été dite ni pensée

 » 4°. Il est faux qu’on ait rejeté cette maxime, Il faut aimer la personne et haïr le vice, comme mauvaise ou fausse : on l’a rejetée comme trop subtile, comme n’étant pas trop intelligible, et enfin comme ne pouvant être appliquée partout. Ces messieurs, qui ont tant d’esprit, comprennent fort bien comment on peut faire souffrir à la personne d’un parricide des supplices épouvantables, le fer chaud, le plomb fondu, la roue, le démembrement à quatre chevaux, et aimer pourtant cette personne. Mais ils doivent pardonner à ceux qui ne le comprennent pas.

 » 5°. Il est faux que M. J. ait dit directement ni indirectement, en tout ou en partie, que par les persécuteurs pour lesquels le fils de Dieu nous commande de prier il ne faut pas entendre ceux qui persécutent.

 » 6°. Il est faux qu’il ait apostrophé ses auditeurs pour leur dire qu’ils pouvaient et devaient haïr le roi de France, et lui souhaiter du mal. On verra ce qui a été dit là-dessus.

 » 7°. Il est faux qu’il ait permis de communier le cœur plein de haine, et d’une bouche qui fulmine des malédictions.

 » 8°. Il est faux que M. J. ait défendu de faire du bien ou de souhaiter les biens temporels à nos persécuteurs, et qu’il ait dit que nous ne sommes pas obligés à procurer aucun bien temporel aux papistes, mennonites, etc. »

Remarquez qu’on promet deux fois la publication des sermons, comme le véritable dénoûment et comme la preuve invincible des faussetés du dénonciateur. Mais, dans la même page 3 où on l’a promise, on avertit que peut-être, au lieu de publier les sermons, on donnera un traité complet sur cette partie de la morale. Un peu plus bas on avertit qu’on instruira les honnêtes gens, en temps et lieu, sur cette matière ; mais que, pour le présent, on ne publiera point les sermons, parce qu’on a su de plusieurs côtés que l’ennemi avait préparé ses batteries pour y trouver des hérésies à quelque prix que ce soit [1]... On attendra un peu, poursuit-on, que le feu soit passé. Je laisse là le reste, ce n’est qu’un tissu de louanges et d’invectives : celles-là pour M. Jurieu lui-même, qui se

  1. Voyez les Réflexions que M. de Beauval a faites là-dessus dans ses Considérations sur deux Sermons de M. Jurieu, page 2.