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SUR LES LIBELLES DIFFAMATOIRES.

même par écrit, soient des crimes de lèse-majesté ou d’état [a]. Ainsi Auguste fit là une chose d’autant plus singulière, qu’il l’établit principalement contre les satires, qui ne concernaient point sa personne. J’ai rapporté ci-dessus les paroles de Tacite, qui font voir que les libelles de Cassius Sévérus, contre des gens de qualité de l’un et de l’autre sexe, obligèrent cet empereur à faire ces nouveaux règlemens. Je ne vois point que ce Cassius soit accusé de s’en être pris à Auguste, et je trouve dans Suétone que cet empereur ne punissait ni les discours ni les écrits satiriques qui le regardaient. Nec quidquam ultrà aut statim aut posteà inquisivit. Tiberio quoque de eâdem re sedulò violentiùs apud se per epistolam conquerenti ita rescripsit, ætati tuæ, mi Tiberi, noli in hâc re indulgere, et nimiùm indignari quemquam esse qui de me malè loquatur : satis est si hoc habemus, nequis nobis malè facere possit : [b] ...... Etiam sparsos de se in curiâ famosos libellos, nec expavit, nec magnâ curâ redarguit, ac ne requisitis quidem autoribus, id modò censuit cognoscendum posthàc de iis qui libellos aut carmina ad infamiam cujuspiam sub alieno nomine ederent [c].

II. Trois historiens en parlent imparfaitement, Suétone surtout.

Mais qui ne sera surpris de ce qu’encore que trois différens auteurs nous aient parlé les uns après les autres de ces règlemens d’Auguste, nous n’en saurions voir les circonstances exactement éclaircies, et confirmées par le secours mutuel des trois témoignages ? Tacite nous dit simplement qu’on soumit à la loi de Majestate le crime d’avoir fait des libelles diffamatoires. Suétone, qui est venu après Tacite, ne parle point de cette loi de Majestate ; il dit seulement qu’Auguste ordonna qu’à l’avenir on procéderait contre ceux qui publieraient de tels libelles sous un autre nom. Dion, qui est venu après Suétone, ne parle point non plus de la loi de Majestate, et se contente de dire, 1°. qu’Auguste, deux ans avant que de mourir, ordonna que l’on informât contre les libelles diffamatoires, et que les édiles dans Rome, et les gouverneurs dans les autres lieux, fissent brûler tous les écrits de cette espèce qu’ils découvriraient ; 2°, qu’il châtia quelques-uns de ceux qui avaient composé de ces libelles. De ces trois historiens Suétone est celui qui a le moins débrouillé le fait, puisqu’il ne tient pas à lui que nous ne pensions que pourvu qu’un homme fît des libelles anonymes, ou sous son véritable nom [d], il pouvait impunément diffamer toute la cour et la ville. Pourquoi donc est-ce qu’on bannit Cassius Sévérus ? Pourquoi brûla-t-on les écrits de

  1. M. Auberi, Histoire du cardinal de Richelieu, liv. IV, pag. m. 405, cite un arrêt du parlement de Paris, du 27 d’avril 1620, qui condamna aux galères un homme convaincu du crime de lèse-majesté, pour avoir contribué à un libelle contre l’état.
  2. Sueton., in Augusto, cap. LI.
  3. Idem, ibid., cap. LV.
  4. Id modò censuit (Augustus) cognoscendum posthàc de iis qui libellos aut carmina ad infamiam cujuspiam sub alieno nomine ederent. Sueton., in Augusto, capite LV.