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DISSERTATION

rum cervicium munimento [1]. Je ne sais pourquoi ce comte fit couler dans son Histoire une raillerie très-maligne contre M. Ménage, qui s’en vengea vigoureusement par six vers latins aussi choquans qu’on en puisse faire [2]. Au reste, je crois très-faux ce que dit Patin dans sa lettre du 28 de décembre 1665 [3], Monsieur de Bussy Rabutin, par commandement du roi, s’est défait de sa charge ; et de la Bastille, où il était, il a été conduit dans les petites maisons où on met les fous, et il y a deux chambres [4]. M. de Bussy raconte que sur le rapport du premier médecin et du premier chirurgien du roi, on le mit en liberté pour se faire traiter dans Paris [5]. Cela est plus croyable. Le regret qu’il témoigna d’avoir composé l’Histoire amoureuse lui servit d’éloge dans la Harangue de l’académicien qui lui succéda. Ce fut M. l’abbé Bignon. Il entra dans ses louanges délicatement, et fit sentir que si l’ouvrage qui avait causé tous ses malheurs avait mérité la censure de tous les gens sages, on ne pouvait au moins donner assez de louanges au repentir qu’il avait marqué de l’avoir fait [6].

(E)..... il s’appliqua à des choses bien plus dignes de son bel esprit et de sa charmante plume. ] Il courut un bruit dans le monde, qu’il travaillait à une Histoire de France. On dit après cela qu’il se bornait seulement à l’Histoire de Louis XIV. Mais l’événement a fait voir que le premier bruit était faux, et que le second n’était pas trop bien fondé : car si ce comte eût travaillé tout de bon à l’Histoire de Louis XIV, on eût vu sur ce sujet un meilleur ouvrage que celui qui a paru l’an 1700, et dont on peut voir un extrait dans les Nouvelles de la République des Lettres [7]. La lecture de cet extrait ne permet pas de douter que cet ouvrage de M. de Rabutin n’ait été écrit avec la dernière négligence. Il y travaillait sans doute lorsqu’il était las de quelque autre occupation, et ïl ne se souciait guère d’être bien instruit des choses qu’il écrivait, ou d’attendre que les premières nouvelles de son village fussent confirmées. Il les couchait sur le papier à la hâte, et ne prenait point la peine de les corriger dans la suite. On ne peut donner une raison qui lui soit moins désavantageuse de ce qu’il dit du passage de la Boine. Tout le monde sait que le roi Jacques quitta ce poste, et s’en retourna en France peu de jours après, et que le roi Guillaume passa très-heureusement cette rivière, et fit ensuite toutes les démarches d’un vainqueur. Cependant M. de Bussy assure [8] que le comte de Lauzun, qui commandait les troupes de France, gagna la bataille de la Boine [* 1]. S’il avait parlé ainsi par flatterie et contre sa conscience, il serait plus digne de blâme : c’est donc expliquer la chose selon le sens le moins rigoureux, que de dire qu’il fut trompé par quelques bruits de village, et que faisant peu de cas de ce travail, il ne se mit point en peine si cet endroit-là allait bien ou non.

  1. (*) M. de Bussy, pag. 125, tom. III de ses Nouvelles Lettres : imprimées en 1709, et pag. 232, tom. V de l’édition de 1711, a pourtant avoué que le roi Guillaume avait gagné cette bataille. C’est dans la lettre qu’il écrivit de Bussy, le 17 d’août 1690, à M. l’abbé de Choisy, à qui il parle en ces termes : « La gazette nous assure que le prince d’Orange n’est pas mort : En ce cas-là, cet usurpateur est bien glorieux d’avoir gagné une bataille, d’y avoir été blessé, et d’avoir connu par la joie extraordinaire qu’on a témoignée du bruit de sa mort, combien on appréhendait sa vie. » Et pag. 135 de la première de ces deux éditions, il y a une lettre du même abbé, datée de Paris, le 23 d’août 1690, où il dit à monsieur le comte de Bussy : « Voici quatre vers qu’on a faits sur monsieur le prince d’Orange :

     » Qu’il soit mort, ou qu’il soit en vie,
     » Il est toujours digne d’envie :
     » S’il est mort, il est glorieux ;
     » S’il est vivant, il est heureux. »
    Rem. crit.

  1. Acta Philosophica mensis Augusti, 1669, pag. 847, edit. Lips. 1675.
  2. Voyez ci-dessus citation (3) de l’article Ménage, tom. X, pag. 401.
  3. C’est la CCCLXXXVIIIe.
  4. Patin, tom. III, pag. 153. Il avait dit dans sa lettre CCCLIVe : L’on a mis aujourd’hui (ce 18 avril 1665 ) dans la Bastille monsieur de Bussy Rabutin, qui a écrit un libelle qui offense les puissances. Monsieur le Prince s’en est plaint au roi, qui l’a fait arrêter, et lui a donné un pourpoint de pierre dans la rue Saint-Antoine.
  5. Bussy, Usage des Adversités, pag. 281.
  6. Mercure Galant du mois de juin 1693. Le comte de Bussy mourut d’une apoplexie à Autun, le 9 d’avril 1693. Monsieur l’abbé Bignon fut reçu à sa place dans l’Académie française au mois de juin suivant.
  7. Mois de février 1700, pag. 162 et suiv.
  8. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, février 1700, pag. 168.