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DISSERTATION

sur la comparaison ou sur la métaphore de la chasse dont je viens de me servir ; vous me l’apprendrez, dis-je, quand il vous plaira, n’y ayant personne qui ait déterré comme vous les particularités les plus cachées de l’antiquité.

On conviendra facilement qu’il y a une infinité de fautes dans les livres, si l’on considère que les écrits des plus grands hommes n’en sont pas exempts, et que le moindre critique y en découvre beaucoup. Combien de fois rencontre-t-on dans les sommaires et dans les tables des livres les plus médiocres, Scaliger notatus, hallucinatio Scaligeri, et choses semblables ? M. Morus s’est imaginé qu’il y avait là une mauvaise affectation d’auteur glorieux, et cherchant à faire parler de lui [a]. Cela peut être ; mais aucun habile homme ne niera qu’on ne puisse justement reprendre Scaliger en une infinité de choses : il n’en faut point d’autre preuve que les ouvrages de M. de Saumaise, où l’on voit à tout moment Scaliger surpris en faute [b]. Il est vrai qu’on ne le nomme pas, et qu’on le désigne par l’éloge magnifique de vir magnus, vir summus ; mais toutes ces grandes honnêtetés n’affaiblissent point la réalité de la faute, lorsque la censure est bien fondée, M. de Saumaise, qui n’avait pas les mêmes raisons de ménager ainsi les autres savans, en irrita quelques-uns qui exercèrent sur ses écrits une impitoyable critique. Il se défendit, et les attaque à son tour. La partie fut principalement liée entre lui et le jésuite Denys Pétau, et tellement liée qu’ils n’ont guère cessé de se battre qu’en mourant. On peut assurer que c’étaient deux athlètes dignes l’un de l’autre, et que jamais gladiateurs ne furent mieux appariés que ces deux-là ; car il ne serait point juste de s’en rapporter à ce qu’en ont dit des gens qui étaient juges et parties [c]. C’étaient les deux plus savans hommes de France, et ils auraient pu non-seulement éclairer leur siècle, mais aussi lui faire beaucoup d’honneur par leurs longues contestations, si, à la honte de la littérature, ils ne les avaient infectées de l’aigreur excessive de leur bile, qui leur dictait presque autant d’injures que de paroles. Tous les autres antagonistes de M. de Saumaise n’ont pas été capables de lui rendre précisément coup pour coup, je veux dire de découvrir autant de fautes dans ses écrits qu’il en

  1. Illos omitto, qui satis ad famam nominis adipiscendam putant si prescribere possunt illud : contra Scaligerum, vel Scaligeri error ostensus : nec eos præcipuè tango, etc. Alex. Morus, Præfat. edit. Scalig., in Eusebium, 1658.
  2. On n’a garde de parler du procès que Scioppius, le plus redoutable et le plus furieux des critiques, lui intenta (cela serait trop odieux), prétendant qu’il avait commis cinq cents faussetés dans un écrit de 120 pages sur l’antiquité de sa famille. Il est bien certain que parmi ces cinq cents mensonges imputés, il y en a beaucoup qui sont imputés avec raison ; il ne faut pour s’en convaincre que lire ce que Scaliger et ses amis répondirent, et ce qui leur fut répliqué.
  3. Comme le père Labbe dans son Chronologue français, tom. V, à l’an 1652. Le père Denys Pétau, dit-il, le plus savant homme qui fût au monde, mourut l’onzième de novembre, en sa 70e. année. Saumaise, qui avait voulu se mesurer avec lui en quelques points de grammaire,

    ....impar longè congressus Achilli

    en tout le reste, était décédé... le 3 septembre. Voyez ci-dessus, remarque (A) de l’article Pétau tom. XI, pag. 661.