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CONTENANT LE PROJET.

découvrait dans les leurs, mais ile ne laissaient pas de lui montrer qu’il se trompait assez souvent. Qui pourrait douter après cela que la moisson de cette sorte de fautes ne soit grande ? Où n’en trouvera-t-on pas, puisqu’on en trouve dans les productions des Scaliger et des Saumaise ? et qui ne se consolerait de ses erreurs par cette raison ?

Pénétrant comme vous êtes, vous n’avez pas besoin d’être averti que j’ai proposé l’exemple de ces deux grands hommes, non pas tant afin de raisonner du plus au moins, qu’afin de donner quelque sorte de consolation aux auteurs du second rang, et à ceux qui, comme moi, sont du plus petit. La consolation pourra être plus efficace que le raisonnement ne serait juste ; car il est certain que les auteurs du premier rang sont quelquefois ceux à qui il échappe le plus de fautes, soit à cause qu’ils sont hardis dans leurs décisions et qu’ils aiment trop les routes nouvelles, soit à cause qu’ils se laissent saisir tôt ou tard à la vanité de se distinguer par la multitude de leurs ouvrages, soit pour plusieurs autres raisons qu’il me serait facile d’étaler si je voulais qu’on y reconnût quelqu’un : mais il n’est pas moins certain que cela n’empêche pas que ces exemples ne soient consolans. On se laisse plus toucher, en fait de consolation, à des pensées populaires et spécieuses, qu’aux raisonnemens les plus conformes aux règles de la logique. Disons donc que les Scaliger et les Saumaise doivent faire à l’égard des autres auteurs ce que fit Carthage à l’égard des antres peuples. Post Carthaginem vinci neminem puduit [a], personne n’eut honte d’être vaincu après que Carthage eut été vaincue.

Je pourrais joindre Baronius à ces deux célèbres auteurs. C’est assurément un grand homme : ceux qui l’ont examiné, pour écrire contre lui, sont peut-être ceux qui l’admirent le plus. Cependant combien de fautes y a-t-il dans ses Annales ? On ne les compte point par centaines, mais par milliers [b] ; il s’est trompé non-seulement par intérêt de parti, par prévention ultramontaine, mais aussi en mille choses qui ne servent de rien aux prétentions de la cour de Rome. On l’a fait voir toutes les fois qu’on l’a attaqué, et tout fraîchement le public en a pu être convaincu d’une maniere solide [c]. Il semble que Baronius ait pris plaisir à se tromper, et qu’il ait répandu tout exprès les mensonges dans son ouvrage, tant ils y sont semés épais.

III. Qu’il faut néanmoins bien travailler pour en faire une bonne compilation.

Je n’ai pas peur que vous concluiez de là qu’il n’est rien de

  1. Florus, lib. II, cap. VII.
  2. Baronii Annales is quem dixi Blondellus mille castigavit notis, aliquando prodituris, quibus oram exemplaris sui prætexuit : quod exemplar ære suo redemptum benè proceres Amstelodamenses Bibliothecæ publicæ inferri curaverunt. Super hæc vero et ea quæ ab aliis animadversa sunt, quæ subnotavimus etiam nos justum ferè volumen implerent. Alexand. Morus, Pref. edit. Scaligeri in Eusebium, 1658. Holsténius pouvait montrer 8000 faussetés dans Baronius, et les prouver par les manuscrits du Vatican. Voyez Patin, lettre CLXIV, pag. 19 du IIe. tome, édit. de 1691.
  3. Par le Critica historico-chronologica du père Pagi, imprimé à Paris, in-folio,