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CONTENANT LE PROJET.

Qui dit l’orgueil dit le défaut le plus éloigné de la véritable vertu, et le plus diamétralement opposé à l’esprit évangélique. Or que saurait-on imaginer de plus propre à bien faire comprendre à l’homme le néant et la vanité des sciences, et la faiblesse de son esprit, que de lui montrer à tas et à piles les faussetés de fait dont les livres sont remplis ? Une infinité de gens de lettres, les esprits les plus pénétrans et les plus sublimes, ont pris à tâche pendant plusieurs années d’éclaircir l’antiquité. Cette tâche de messieurs les critiques, ayant pour objet les actions de quelques hommes, devait être plus facile que celle des philosophes, qui a pour objet les actions de Dieu : cependant les critiques ont donné tant de preuves de l’infirmité humaine, qu’on peut composer de gros volumes de leurs faussetés. Ces volumes peuvent donc mortifier l’homme du côté de sa plus grande vanité, c’est-à-dire du côté de la science. Ce sont autant de trophées ou autant d’arcs de triomphe érigés à l’ignorance et à la faiblesse humaine.

Cela étant, vous voyez, monsieur, que les plus petites faussetés auront ici leur usage, puisque par cela même qu’on rassemblera un grand nombre de mensonges sur chaque sujet, on apprendra mieux à l’homme à connaître sa faiblesse, et on lui montrera mieux la variété prodigieuse dont ses erreurs sont susceptibles. On lui fera mieux sentir qu’il est le jouet de la malice et de l’ignorance ; que l’une le prend quand l’autre le quitte : que s’il est éclairé pour connaître le mensonge, il est assez méchant pour le débiter contre sa conscience ; ou que s’il n’est pas assez méchant pour débiter ainsi le mensonge, il est assez rempli de ténèbres pour ne pas voir la vérité. En mon particulier, quand je songe que peut-être je me ferai une occupation fort sérieuse toute ma vie, de ramasser des matériaux de cette sorte d’arcs de triomphe, je me sens tout pénétré de la conviction de mon néant. Ce me sera une leçon continuelle de mépris de moi-même. Il n’y a point de sermon, non pas même celui du prédicateur ou de l’ecclésiaste par excellence, qui me puisse plus fermement tenir collé à cette grande maxime [a], J’ai regardé tout ce qui se faisait sous le soleil, et voilà tout est vanité et rongement d’esprit [b]. Voilà comment je suis entêté de mon ouvrage. J’en dirai plus de mal en moi-même que personne, et j’en estime plus cette circonstance que tout le reste.

J’allais finir sur cette belle moralité, lorsque je me suis souvenu que je n’ai pas fait savoir, que j’userai de la même liberté et de la même honnêteté envers les auteurs, de quelque nation et de quelque religion qu’ils soient. Je le déclare donc ici. Il n’y a rien de plus ridicule qu’un dictionnaire où l’on fait le controversiste. C’est un des plus grands défauts de celui de M. Moréri ; on y trouve cent en-

  1. Ecclésiaste de Salomon, chap. I, vers. 14.
  2. Conférez ce que dit Vigneul-Marville, Mélang., tom III, pag. 206 et suiv. ; et page dernière de l’édit. de Rouen, 1701.