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DISSERTATION

droits qui semblent être détachés d’un vrai sermon de croisade. Pour moi, je ne dis point avec Annibal, hostem qui feriet mihi erit carthaginiensis, quisquis erit [a], civis [b] ; mais plutôt, que tous ceux qui s’écarteront de la vérité me seront également étrangers. Vous connaissez des gens qui en gronderont, et qui s’en réjouiront néanmoins dans le fond de l’âme, parce que cela leur fournira des prétextes de médire et de faire les zélés, deux choses qui vont toujours de compagnie chez eux. Mais encore que nous ne soyons pas en grand commerce de complaisance, j’irai toujours mon grand chemin quoi qu’ils puissent dire, et je ne leur envierai point les os qu’ils trouveront là à ronger. Voici la raison du procédé que je veux suivre.

Ce dictionnaire ne regardant point les erreurs de droit, la partialité y serait incomparablement plus inexcusable que dans les dictionnaires historiques ; car on est obligé dans ceux-ci de rapporter mille choses qui sont vraies au jugement de quelques-uns, et fausses au jugement de quelques autres : on doit donc supposer une grande différence de principes dans les lecteurs, et se figurer qu’entre les mains des uns on sera en pays ennemi, et qu’entre les mains des autres on sera en pays ami, il est donc juste de proportionner à cela son style et sa manière de décider. Mais quand on ne se propose que de recueillir les erreurs de fait, on suppose avec raison les mêmes principes dans tous ses lecteurs, et qu’il n’y aura point d’homme qui ne reçoive pour faux ce qu’on lui débitera comme tel ; car les preuves d’une fausseté de fait ne sont pas les préjugés d’une nation ou d’une religion particulière, ce sont des maximes communes à tous les hommes. Vous voyez par-là, monsieur, que les faussetés philosophiques ou théologiques n’entrent point dans le plan de mon ouvrage : il est pourtant vrai que les livres où l’on en dispute pourraient fournir une espèce de faussetés de fait, qui ne serait pas peut-être la moins utile au lecteur.

Il arrive presque toujours que les disputes par écrit sur quelque dogme dégénèrent en différens personnels, et ne roulent presque plus que sur la question si un passage de l’adversaire a été bien ou mal cité, bien ou mal interprété. Le public abandonne là les disputans, et, comme l’a dit depuis peu un bel esprit, c’est alors que les parties sont obligées de se quitter, faute de lecteurs et de libraires. Qui aurait la patience de faire l’analyse de ces différens personnels trouverait une grande moisson de fautes qui serait du ressort de ce dictionnaire ; beaucoup de fausses citations ou de fausses interprétations : or ce sont des erreurs de fait. Vous m’avouerez, monsieur, qu’il n’y aurait point de logique comparable à celle-là pour enseigner la justesse du rai-

  1. C’est ainsi que Cicéron, Orat. pro Corn. Balbo, pag. m. 679, rapporte les paroles d’Ennius ; mais, pour faire le vers, il faut mettre ferit et non pas feriet.
  2. Il y a des critiques qui veulent qu’on lise cujati’ fiet.