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RÉFLEXIONS SUR LE PRÉTENDU JUGEMENT, etc.

critique sûre et éclairée qui perçait dans tous les coins et les plis d’un ouvrage a eu la prudence de ne rien publier de sa façon, et que le peu qui en a paru n’est pas fort considérable.


RÉFLEXIONS
Sur un imprimé qui a pour titre

Jugement du public, et particulièrement de l’abbé Renaudot, sur le Dictionnaire critique du sieur Bayle.[* 1]


Mon principal but est ici d’avertir le public que je travaille à une défense qui, auprès de tous les lecteurs non préoccupés, sera une démonstration de l’injustice de mes censeurs. Mais cette apologie ne méritant pas la destinée des feuilles volantes qui, la plupart du temps, ne passent pas la semaine, on la garde pour être mise à la tête ou à la queue d’un in-folio[1]. Par la même raison, on renvoie là presque tout ce que l’on pourrait dire de considérable contre l’écrit qui vient de paraître. On se réduit à un petit nombre d’observations faites à la hâte et négligemment. Qui mettrait de l’esprit et du style dans un imprimé de sept ou huit pages serait bien prodigue.

I. Ce libelle-là est fort mal intitulé : il ne doit avoir pour titre que, Jugement de l’abbé Renaudot, commenté par celui qui le publie ; car tous les autres juges sont moins que fantômes : ce sont des êtres invisibles ; on ne sait s’ils sont blancs ou noirs. C’est pourquoi leur témoignage et un zéro sont la même chose. J’excepte l’agent de messieurs les États ; mais je prie mon lecteur de considérer sur ce fait-là ce que je dirai bientôt de Tertullien.

II. Quelle manière de procéder est-ce que cela ! faire consister le jugement du public en de telles pièces ! J’en pourrais produire de bien plus fortes à mon avantage si la modestie le permettait. Outre cela, que de lettres ne pourrais-je pas publier où mon adversaire est représenté, et comme un mauvais auteur, et comme un malhonnête homme ! mais Dieu me garde d’imiter l’usage qu’il fait de ce que les gens s’entr’écrivent en confidence ! C’est une conduite que les païens mêmes ont détestée. Quelles gens voyons-nous ici ? L’un écrit ce qu’il prétend avoir ouï dire à un évêque, l’autre le fait imprimer. Ni l’un ni l’autre n’en demandent la permission. Ils le nomment sans aveu. Peut-on voir plus de hardiesse ? N’est-ce pas tyranniser la conversation plus que Phalaris ne tyrannisait le peuple ?

III. L’auteur de ce prétendu Jugement du public n’a guère été sage dans la distinction qu’il a faite. Il a supprimé le nom de tous ses témoins, excepté celui qu’il devait cacher principalement, nom odieux et méprisé dans tous les pays qui font la guerre à la France. Je ne me veux point prévaloir de la préoccupation publique : je veux bien ne le pas faire considérer du côté de sa gazette, qui le décrie partout comme un homme habitué à donner un tour malin au

  1. * Publiée par Jurieu, 1697, in-4o, lequel Jurieu, en réponse à Bayle, donne ensuite une Lettre sur les réflexions, etc. in-4o.
  1. M. Bayle publia en effet cette apologie à la fin de la seconde édition du Dictionnaire critique, et ce sont des quatre Éclaircissemens qui suivent ces Réflexions.