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SUR LES MANICHÉENS.

réfutent fortement, et les font devenir suspects de l’hérésie socinienne.

Les preuves de tout ce que je viens de dire seraient bien aisées à recueillir, mais ce serait un travail fort inutile ; car, pour peu que l’on connaisse les ouvrages de controverse, on sait que les catholiques romains ne cessent de recommander le sacrifice de la raison et la captivité de l’entendement, et que les ministres attribuent au refus de ce sacrifice les impiétés des sociniens. Les disputes de l’académie de Franeker terminées par le silence que le souverain imposa [1], et celles de deux ministres français [2] terminées [3] par le synode wallon, ont fait tant de bruit, et sont de si fraîche date, qu’il n’est pas besoin que je me munisse de citations. Je dirai seulement que l’un de ces deux ministres soutint comme la doctrine universelle de l’église, et particulièrement de Calvin et des réformés, que le fondement de la foi n’est ni l’évidence des objets, ni l’évidence de la révélation, et que le Saint-Esprit nous persuade des mystères de l’Évangile sans nous montrer évidemment ce que nous croyons, ni la divinité de l’Écriture, ni la vérité du sens de tels et de tels passages. Il fut reconnu orthodoxe : son adversaire remporta un semblable témoignage d’orthodoxie ; mais cela ne prouve rien contre moi, car il avouait que la foi est sans évidence quant à l’objet, et que l’évidence qui l’accompagne quant à la révélation est un effet de la grâce. Il est donc de ceux qui disent que les mystères ne sont pas sous le ressort de la raison, et que la raison ou la lumière philosophique n’est point la règle qu’il faut consulter quand on dispute là-dessus.

Or si tous les théologiens orthodoxes sur le mystère de la Trinité, et sur celui de l’union hypostatique, les uns catholiques romains, et les autres protestans, rejettent et récusent d’une commune voix l’arbitrage de la raison, c’est un signe manifeste qu’ils la trouvent incapable de donner des preuves ni des solutions dans les controverses de ces mystères ; car lors qu’il s’agit de l’existence divine, ils ne demandent pas mieux que de disputer par les lumières de la raison. C’est parce qu’elles fournissent des armes, et pour attaquer et pour repousser l’ennemi, et pour le vaincre pleinement. Ce qui fait donc qu’ils se conduisent tout autrement par rapport à la Trinité, à l’Incarnation, etc., est qu’ils savent que les principes de philosophie n’y sauraient faire aucun bien, et y peuvent faire beaucoup de mal. Si la justice, si la prudence, permettent de récuser un juge, ce n’est qu’en cas d’incompétence et de partialité. Plus on a de zèle pour sa cause, moins néglige-t-on ses avantages ; et si d’ailleurs on est éclairé sur ses intérêts, on ne récuse jamais les personnes bien intentionnées.

Je conclus de tout ceci, qu’il

  1. L’an 1687. On a pu voir dans la Bibliothéque universelle les extraits de plusieurs livres publiés de part et d’autre sur cette controverse.
  2. MM. Jurieu et Saurin.
  3. En septembre 1696.