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ÉCLAIRCISSEMENT

ligion chrétienne, ou de se tenir sur la défensive. Car voici en quoi diffèrent la foi d’un chrétien et la science du philosophe : cette foi produit une certitude achevée, mais son objet demeure toujours inévident : la science au contraire produit tout ensemble l’évidence de l’objet, et la pleine certitude de la persuasion. Si donc un chrétien entreprenait de soutenir contre un philosophe le mystère de la Trinité, il opposerait à des objections évidentes un objet inévident. Ne serait-ce point se battre les yeux bandés, et les mains liées, et avoir pour antagoniste un homme qui se peut servir de toutes ses facultés ? Que si le chrétien pouvait résoudre toutes les objections du philosophe sans se servir que des principes de la lumière naturelle, il ne serait pas vrai, comme l’assure saint Paul, que nous cheminons par foi et non point par vue. La science, et non pas la foi divine, serait le partage du chrétien.

Se scandalisera-t-on d’un aveu qui est une suite naturelle de l’esprit évangélique et de la doctrine de saint Paul ?

Si l’on n’est point assez frappé de ces réflexions sur la conduite des premiers siècles ; si, dis-je, de tels objets considérés en éloignement ne font point assez d’impression, je demande que l’on veuille bien prendre la peine d’examiner les maximes des théologiens modernes. Les catholiques romains et les protestans s’accordent à dire, qu’il faut récuser la raison quand il s’agit du jugement d’une controverse sur les mystères. Cela revient à ceci, qu’il ne faut jamais accorder cette condition, que si le sens littéral d’un passage de l’Écriture renferme des dogmes inconcevables, et combattus par les maximes les plus évidentes des logiciens et des métaphysiciens, il sera déclaré faux, et que la raison, la philosophie, la lumière naturelle, seront la règle que l’on suivra pour choisir une certaine interprétation de l’Écriture préférablement à toute autre. Non-seulement ils disent qu’il faut rejeter tous ceux qui stipulent une telle chose comme une condition préliminaire de la dispute ; mais ils soutiennent aussi que ce sont des gens qui s’engagent dans un chemin qui ne peut conduire qu’au pyrrhonisme, ou qu’au déisme, ou qu’à l’athéisme : de sorte que la barrière la plus nécessaire à conserver la religion de Jésus-Christ est l’obligation de se soumettre à l’autorité de Dieu, et à croire humblement les mystères qu’il lui a plu de nous révéler, quelque inconcevables qu’ils soient, et quelque impossibles qu’ils paraissent à notre raison.

Il semble que les catholiques romains et les protestans de la confession d’Augsbourg devraient insister plus fortement sur ce principe que les réformés ; car le dogme de la présence réelle en a un besoin tout particulier : cependant les réformés sont aussi jaloux de cette thèse que les autres, et la poussent avec un grand zèle contre les sociniens ; et dès qu’ils voient que quelques-uns de leurs docteurs s’écartent de cette route commune pour augmenter les emplois de la raison, ils les