Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
288
ÉCLAIRCISSEMENT

pute sur ces points-là, ils donnent la solution de toutes les difficultés qui leur peuvent être proposées. Je prie ceux qui m’allégueront cela de faire attention à deux choses. L’une est que leur objection ne peut être bonne contre moi qu’elle ne le soit contre tous les théologiens qui avouent que les grands mystères de l’Évangile sont inexplicables par la lumière naturelle. L’autre est que les protestans ne peuvent point se servir de cette objection ; car elle prouve trop, puisqu’elle prouve que le dogme de la Transsubstantiation n’est point exposé à des attaques invincibles, philosophiquement parlant. Tous les catholiques romains enseignent qu’un corps peut être en plusieurs lieux à la fois. Les thomistes, se contentant du nécessaire, n’ont point osé assurer qu’il y puisse être circonscriptivement, mais tout au plus comme Jésus-Christ est sous les espèces sacramentales. Les autres scolastiques, et surtout les jésuites, ont été bien plus hardis : ils ont soutenu la réplication circonscriptive [1], et en cela ils ont raisonné plus conséquemment que les thomistes ; car si les raisons que l’on allègue contre cette réplication étaient bonnes, la réplication définitive [2] ne serait pas soutenable. Les théologiens ne sont pas les seuls qui enseignent la réplication, elle est aussi enseignée dans tous les cours de philosophie, et c’est toujours l’une des thèses qu’on fait soutenir publiquement aux écoliers de physique. Toutes les objections imaginables sont discutées dans les livres des théologiens scolastiques qui traitent du sacrement de la Cène, et dans les cours de philosophie à l’endroit où il s’agit d’expliquer les questions de loco. Aucune de ces objections ne demeure sans réponse. Cela empêche-t-il que les protestans réformés ne persistent à soutenir que la position d’un corps en plusieurs lieux à la fois est compliquée de mille contradictions et absolument impossible ? Ils ne peuvent donc rien conclure à l’avantage d’une opinion, de ce que l’on peut opposer quelque distinguo, ou quelque terme d’école à tout ce que les adversaires les plus subtils sont capables d’objecter [3]. Ce n’est pas le tout que de répondre, il faut donner une solution qui excite quelque idée, et qui soit exempte de la pétition du principe, et qui fasse voir que l’objection est bâtie sur des fondemens qui n’ont point de liaison avec les notions communes. Voilà trois caractères qu’on ne trouve point dans les réponses des scolastiques aux objections qui attaquent le dogme de la Transsubstantiation. Aussi est-il vrai que leur dernière et leur principale ressource est de dire que la toute-puissance de Dieu supplée ce que la raison ne peut comprendre, et que c’est à nous à captiver notre entendement, et

  1. C’est ainsi qu’on nomme dans les écoles la position d’un même corps en plusieurs lieux sans pénétration de dimensions.
  2. C’est ainsi qu’on nomme la position d’un corps en plusieurs lieux à la fois, avec pénétration de dimensions.
  3. Conférez avec ceci ce qu’on a dit ci-dessus, rem. (G) de l’article Zénon d’Élée, pag. 41, touchant les objections qui concernent la divisibilité du continu.