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SUR LES MANICHÉENS.

bramus, et nondum benè initiati Epoptas agimus. Ut ad ignem, solemque, sic ad Deum accedamus, hactenùs ut calore foveamur, non voraci flammâ, non radiis æstuantibus hauriamur [1]. Tout fraîchement, l’un de ceux qui sont assis sur la chaire de Calvin a reconnu d’une manière très-précise l’incompréhensibilité de la prédestination. Je n’ai pas eu encore le plaisir de voir son nouveau Système de théologie ; mais voici ce qu’on en trouve dans les Nouvelles de la République des Lettres. « Il commence par une question extrêmement difficile, et qui est une pierre de scandale et aux profanes et aux faibles, savoir pourquoi Dieu a permis le péché, qui est cause d’un si grand nombre de maux, et qu’il pouvait si facilement empêcher ? M. Pictet ne dissimule point la grandeur de la difficulté. Il la met dans tout son jour. Ceux qui ont osé assurer que Dieu ne sait pas l’avenir, lorsqu’il dépend de la liberté des créatures intelligentes, se tirent aisément de ce mauvais pas ; Dieu n’a pas empêché ce qu’il n’a pas prévu : mais c’est se jeter dans un abîme, pour éviter un précipice, et il est encore plus difficile de concevoir que Dieu ne sache pas l’avenir que de concevoir qu’il n’ait pas empêché le péché, quoi qu’il l’ait prévu. La pensée de ceux qui disent que Dieu l’a permis pour manifester sa sagesse, ou pour exercer sa justice et sa miséricorde, paraît plus raisonnable. Cependant, tout cela ne satisfait point, car, outre qu’il n’était peut-être pas impossible que Dieu fit paraître ses vertus autrement, est-ce avoir, par exemple, un grand fonds de miséricorde, que de permettre un grand mal qu’on pouvait empêcher, afin d’avoir occasion de le guérir ? Aussi M. Pictet avoue-t-il de bonne foi, que comme l’Écriture ne nous rend aucune raison de la conduite de Dieu dans cette occasion, et qu’elle nous fait assez comprendre qu’il y a là des abîmes qu’il est impossible de sonder, on ne doit point l’entreprendre [2]. »

Tout homme qui se pourra scandaliser raisonnablement de mes articles touchant le manichéisme, se pourra scandaliser légitimement de cette doctrine du professeur de Genève, toute orthodoxe qu’elle est.

Amenons aussi le témoignage d’un catholique romain ; afin que la mesure soit comble. « Il y a de petits esprits, qui aiment mieux condamner hardiment ce qu’ils n’entendent pas dans les saints pères de l’église, que de s’humilier comme eux sous le poids des difficultés qui se trouvent dans l’explication des mystères de notre foi. Car c’est un mystère, et un grand mystère, que la justification d’un pécheur et la sanctification d’un chrétien. Et c’est parce qu’on ne le regarde pas comme

  1. Alexander Morus, Oratione de Pace, pag. 53 et seq., edit. Amstelod., 1648, in-12.
  2. Nouvelles de la République des Lettres, novembre 1701, pag. 493, 494, dans l’Extrait de la Théologie chrét. de M. Pictet, pasteur et professeur en théologie à Genève.