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ÉCLAIRCISSEMENT

un mystère, qu’on entreprend hardiment d’en aplanir toutes les difficultés, qu’on se forme des systèmes qui mettent tout en évidence et en démonstration, si l’on en croit les auteurs ; et qu’on se figure en Dieu une science moyenne, dont les demi-pélagiens ont été les premiers inventeurs, et dont le pape Clément VIII, très-habile sur cette matière, avait coutume de dire, comme le rapporte Lemos [* 1], que c’était une invention humaine pour accommoder en apparence toutes choses. Loin donc ces inventions humaines qui n’expliquent les mystères qu’en les détruisant, et qui ne satisfont l’esprit humain qu’en le séduisant par des apparences trompeuses de lumière et d’évidence. Recevons avec humilité ce que l’Écriture et la tradition nous en découvrent. Ignorons volontiers ce que Dieu veut qui nous en soit caché. Arrêtons-nous où les apôtres et les docteurs de l’église se sont arrêtés : et en lisant saint Augustin, loin de lui insulter comme à un écrivain qui s’égare et qui conduit ceux qui le suivent dans le précipice de l’erreur, reconnaissons que ce n’est pas de ses expressions que viennent les difficultés, mais de la matière même, comme il répond à Julien [1]. »

Voyons si l’on a pu se choquer légitimement d’une certaine comparaison que j’ai alléguée [2]. Je n’ignore pas que bien des gens en ont murmuré ; les uns parce qu’ils n’avaient point d’habitude avec les livres de controverse, les autres parce qu’ils n’avaient pas les idées assez fraîches de ce qu’ils y avaient lu autrefois. Quel que puisse être le fondement de leur scandale, on peut le lever facilement. On n’a qu’à leur représenter que la méthode la plus ordinaire des controversistes est celle qu’on nomme reductionem ad absurdum, la réduction à l’absurde. Ils tâchent surtout de faire voir que la suite nécessaire du dogme qu’ils réfutent est que la conduite de Dieu serait exécrable, et ils ne feignent point de dire beaucoup de mal du Dieu de leurs adversaires ; c’est-à-dire de Dieu considéré selon qu’il serait en cas que la doctrine en question fût reçue. Ils se servent hardiment des comparaisons les plus choquantes. Les catholiques romains soutiennent que Calvin a introduit un Dieu fourbe, et cruel, et inhumain ; un Dieu sans justice, sans raison et sans bonté [3], moins innocent et moins Dieu, que ne l’est le Dieu d’Épicure [4] ; un Dieu qui a deux volontés ; une publique par laquelle il déclare qu’il veut sauver tout le monde, et l’autre secrète, par laquelle il pousse dans l’impiété ceux qu’il n’aime point, afin de trouver un prétexte pour les punir

  1. (*) Inventum humanum ad accommodandum in apparentiâ omnia. Lemos, tom. I, p. 2. Tract. 5, c. 35, pag. 280.
  1. Saint Augustin justifié de Calvinisme, pag. 179, 180. C’est un écrit imprimé l’an 1689, avec les Lettres du prince de Conti au père de Champs.
  2. Voyez ci-dessus, cit. (50) de l’article Pauliciens, tom. XI, pag. 489.
  3. Voyez M. Daillé, Réplique à Adam et à Cottibi, IIe. p.artie, ch. I, pag. 2.
  4. Là même, pag. 3.