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SUR LES PYRRHONIENS.

exigerait de lui ce que la nature des choses ne souffre point. Il faut nécessairement opter entre la philosophie et l’Évangile : si vous ne voulez rien croire que ce qui est évident et conforme aux notions communes, prenez la philosophie, et quittez le christianisme : si vous voulez croire les mystères incompréhensibles de la religion, prenez le christianisme et quittez la philosophie ; car de posséder ensemble l’évidence et l’incompréhensibilité, c’est ce qui ne se peut ; la combinaison de ces deux choses n’est guère plus impossible que la combinaison des commodités de la figure carrée et de la figure ronde. Il faut opter nécessairement : si les commodités d’une table ronde ne vous contentent faites en faire une carrée, et ne prétendez point que la même table vous fournisse les commodités d’une table ronde et celles d’une table carrée. Encore un coup, un véritable chrétien, bien instruit du caractère des vérités surnaturelles, et bien affermi sur les principes qui sont propres à l’Évangile, ne fera que se moquer des subtilités des philosophes ; et surtout de celles des pyrrhoniens. La foi le mettra au-dessus des régions où règnent les tempêtes de la dispute [1]. Il se verra dans un poste d’où il entendra gronder au-dessous de lui le tonnerre des argumens et des distinguo, et n’en sera point ébranlé ; poste qui sera pour lui le vrai olympes des poëtes et le vrai temple des sages [2], d’où il verra dans une parfaite tranquillité les faiblesses de la raison, et l’égarement des mortels qui ne suivent que ce guide. Tout chrétien qui se laisse déconcerter par les objections des incrédules, et qui en reçoit du scandale, a un pied dans la même fosse qu’eux.

V. Ce que je m’en vais dire pourra nous apprendre combien il est important de savoir le bon usage des choses. Bien des gens ont demandé à quoi bon cet étalage de difficultés pyrrhoniennes et manichéennes. Ils auraient trouvé la réponse à cette question, s’ils l’avaient cherchée dans mon Dictionnaire, où elle a paru en cent endroits, et nommément dans la remarque (C) de l’article Pyrrhon [3], tome XII, page 105. Mais puisqu’ils n’ont pas voulu, ou qu’ils n’ont pu être attentifs à cela, examinons ici plus amplement leur difficulté. Je ne vois pas trop de quoi ils se pourraient plaindre raisonnablement, si je me contentais de leur demander à quoi servent tant de détails que nous donnent les historiens. N’est-il pas sûr qu’ils en donnent dont toute l’utilité consiste à faire plaisir aux lecteurs, et qui peuvent

  1. Ut altus Olympi
    Vertex, qui spatio ventos hiemesque relinquit,
    Perpetuum nullâ temeratus nube serenum,
    Celsior exsurgit pluvits auditque ruentes
    Sub pedibus nimbos, et rauca tonitrua calcat.
    Claudian., de Mall. Theod.
    consul., v. 206, pag. m. 6.

  2. Nil dulcius est, benè quàm munita tenere
    Edita doctrinâ Sapientum templa serena ;
    Despicere unde queas alios, passimque videre
    Errare, atque viam palanteis quærere vita.
    Lucret., lib. II, vers. 7.

  3. Voyez aussi la rem. (G) de l’article Zénon d’Élée, pag. 41 ci-dessus.