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SUR LES OBSCÉNITÉS.

Joignez à cela que quand on ne marque qu’à demi une obscénité, mais de telle sorte que le supplément n’est pas malaisé à faire, ceux à qui l’on parle achèvent eux-mêmes le portrait qui salit l’imagination. Ils ont donc plus de part à la production de cette image que si l’on se fût expliqué plus rondement. Ils n’auraient été en ce dernier cas qu’un sujet passif, et par conséquent la réception de l’image obscène eût été très-innocente ; mais dans l’autre cas ils en sont l’un des principes actifs : ils ne sont donc pas si innocens, et ils ont bien plus à craindre les suites contagieuses de cet objet qui est en partie leur ouvrage. Ainsi ces prétendus ménagemens de la pudeur sont en effet un piége plus dangereux. Ils engagent à méditer sur une matière sale, afin de trouver le supplément de ce qui n’a pas été exprimé par des paroles précises. Est-ce une méditation qu’il faille imposer ? Ne vaut-il pas bien mieux faire en sorte que personne ne s’y arrête ?

XII. Ceci est encore plus fort contre les chercheurs de détours. S’ils s’étaient servis du premier mot que les dictionnaires leur présentaient, ils n’eussent fait que passer sur une matière sale, ils eussent gagné promptement pays ; mais les enveloppes qu’ils ont cherchées avec beaucoup d’art, et les périodes qu’ils ont corrigées et abrégées, jusques à ce qu’ils fussent contens de la finesse de leur pinceau, les ont retenus des heures entières sur l’obscénité. Ils l’ont tournée de toutes sortes de sens : ils ont serpenté autour comme s’ils eussent eu quelque regret de s’éloigner d’un lieu aimable (C). N’est-ce pas ad Sirenum scopulos consenescere, jeter l’ancre à la portée du chant des Sirènes ? n’est-ce pas le moyen de se gâter et de s’infecter le cœur ? Il est certain que, si l’on excepte les personnes véritablement dévotes, la plupart de nos autres puristes ne songent à rien moins qu’aux intérêts de la pudeur, quand ils évitent avec tant de soin les expressions de nos ancêtres : ce sont des galans de profession, qui courent de belle en belle, qui en content et à la blonde et à la brune, et qui ont assez souvent deux maîtresses, l’une qu’ils paient, l’autre qui les paie. Il sied bien à de telles gens de se récrier sur un mot qui offense la pudeur, et de tant faire les délicats dès qu’une chose n’est pas donnée à deviner ! Appliquons-leur ce que Molière disait d’une fausse prude. « Croyez-moi, celles qui font tant de façons n’en sont pas estimées plus femmes de bien. Au contraire, leur sévérité mystérieuse, et leurs grimaces affectées irritent la censure de tout le monde, contre les actions de leur vie. On est ravi de découvrir ce qu’il y peut avoir à redire ; et, pour tomber dans l’exemple, il y avait l’autre jour des femmes à cette comédie, vis-à-vis de la loge où nous étions, qui par les mines qu’elles affectèrent durant toute la pièce, leurs détournemens de tête, et leurs cachemens de visage, firent dire de tous côtés cent sottises de leur conduite, que l’on n’aurait pas dites sans