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SUR LES OBSCÉNITÉS.

de l’église lorsqu’ils parlent, ou des gnostiques, ou des manichéens, ou de telles autres sectes, racontent des choses qui salissent non-seulement l’imagination, mais qui soulèvent aussi l’estomac, et qui peuvent presque servir d’émétique. Arnobe dans ses invectives contre les païens ménage si peu les termes, qu’on peut assurer que M. de La Fontaine eût mieux voilé de pareilles choses et n’aurait osé égayer avec la même liberté ce qui concerne Priape. Saint Augustin en quelques rencontres s’est exprimé si naïvement et si salement que rien plus [1]. Saint Ambroise et saint Chrysostome l’ont fait aussi, et ce dernier même a soutenu qu’il le fallait faire si l’on voulait inspirer une véritable horreur des crimes que l’on dépeignait. Casaubon n’a point approuvé cette conduite (F) ; mais il nous permettra de croire que son sentiment sur des questions de morale ne peut pas être comparé à celui de ce grand saint.

Si l’on donnait une liste de tous les historiens depuis Suétone jusques à M. de Mézerai qui rapportent grossièrement les actions impures, l’on remplirait plusieurs pages. Et qu’on ne me dise pas que Suétone a été blâmé par de célèbres auteurs : cela ne sert de rien à mes adversaires, puisque ceux qui le justifient sont aussi illustres que ceux qui le désapprouvent (G).

Le nombre des écrivains moralistes, qui ont déploré la corruption de leur siècle, et particularisé fort naïvement ses excès et ses espèces, est infini [2]. Je ne prétends point excuser tous les casuistes, mais je puis bien mettre en fait que dans l’église romaine aucun d’eux ne saurait se dispenser de dire des choses qui offensent la pudeur. On sait que le père Noël Alexandre s’est déclaré pour la morale rigide, et qu’il a eu bien des querelles à soutenir sur ce sujet. Je parcourus l’autre jour dans ses Dogmes de morale ce qui concerne les péchés contre le septième commandement [3], et je n’y trouvai presque point de période qui ne contienne des saletés tout-à-fait grossières. Je crois pourtant qu’il est de ceux qui traitent un tel sujet avec la plus grande modestie. Mais enfin cette matière ne souffre pas que l’on ménage la pudeur, et qu’on mette l’imagination à couvert de l’obscénité. Disons-en autant des canonistes [4], et de ceux qui composent un livre d’anatomie ; et afin qu’on sache qu’encore aujourd’hui les esprits polis et de bon goût entrent dans la secte des anti-puristes, je rapporterai un passage du critique de M. de Saint-Évremond. Ne voit-on pas encore, dit-il [5], en théologie, dans le traité des actes humains, l’explication de tous les désordres tant en action qu’en pensée, que la concupis-

  1. Là même, pag. 48 et suiv.
  2. Voyez entre autres Jean de Sarisbéri, évêque de Chartres, de Nugis Curialium, lib. III, cap XIII, où il s’excuse sur l’exemple de saint Paul.
  3. Ou le sixième, selon le calcul des catholiques romains.
  4. Lorsqu’ils expliquent le titre de frigidis, et d’autres sujets matrimoniaux.
  5. Dissertation sur les Œuvres de M. de Saint-Evremond, pag. 216, 217, édit. de Paris, 1698.