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SUR LES OBSCÉNITÉS.

choses par leur nom : et en ceci la bienséance et l’honnêteté ne nous permettent pas de les imiter [a]. Ne dirait-on pas qu’il veut ramener la vieille mode, qui ne souffrait pas que l’on prononçât les mots soulier, pied, lit, haut de chausses, sans ajouter sous correction, sauf respect, révérence parler. C’était un des principaux chapitres de la Civilité puérile, on reconnaissait à cela les enfans bien élevés : aujourd’hui tout cela passe pour des marguerites villageoises. Mais poursuivons. « On ne saurait éviter avec trop de soin les obscénités qui laissent toujours de sales idées dans l’esprit, et dont les oreilles les moins délicates sont offensées. C. Servilius Glaucia, questeur l’an six cent quarante-un de Rome bâtie, était regardé comme l’ordure et la boue des rues, pour toutes les bassesses de son âme. Cependant le plus éloquent de tous les Romains ne put souffrir qu’on l’eût appelé Curiæ stercus [* 1], ni que l’on eût dit, pour exagérer la grande perte que l’on avait faite dans la mort de Scipion, Respublica morte P. Scipionis Africani-castrata. M. de Balzac ne s’en tenait pas à la bienséance ni aux préceptes des anciens rhéteurs qu’il appelait bien souvent ses maîtres, quand il écrivait d’un certain homme, Qu’il était tout composé de parties honteuses. Notre langue, depuis soixante ans, est si discrète et si retenue, que l’on n’y dit plus fort sèchement les mots de p..... Meretrix, ni de b... lupanar, que les sermonaires prostituaient auparavant, sans aucun scrupule, dans leurs plus belles actions publiques [b]. »

Tous ces passages témoignent que M. Chevreau avait une théorie fort sévère ; mais sa pratique n’y répondait pas ; car si l’on ôtait de ses ouvrages tout ce qui salit l’imagination, on y laisserait une infinité de vides. Ne parlons que du Chevræana où il moralise si austèrement. Combien de choses n’y voit-on qui excitent des idées fort obscènes ? Quelques-uns de ces endroits viennent de lui par citation, et les autres immédiatement. Pourquoi se faire des règles qu’il est impossible d’observer, ni dans une histoire générale, ni dans un recueil de toutes sortes d’observations ?

Il ne sera pas inutile de donner ici un exemple de ce qu’il a dit des sermonaires du vieux temps. Voici donc quelques extraits d’un sermon de Jean de Monluc, évêque de Valence, l’un des plus célèbres prédicateurs du XVIe. siècle. « Celuy qui déflore et corrompt illicitement l’intégrité de la vierge commet fornication et stupre, duquel crime est parlé au Deut. au xxii. ch. Toutefois de notre temps l’on ne tient compte d’une infinité de stupres, qui se commettent tous les jours : tant de pauvres filles qui sont seduictes, subornées, et mises à perdition, et ceux qui les ont debauchées s’en glorifient, et estiment que ce leur est beaucoup d’honneur d’avoir peu vaincre et attirer à meschanceté celle qui avoit quelque temps resisté à l’amour folle et autres tentations de la chair. Mais si le monde ne les chastie, le seigneur Dieu qui est là hault, qui voit tout, leur demandera quelque jour compte de leur faute. Ils rendront compte du temps qu’ils y ont perdu, de l’argent qu’ils y ont employé, pour les macquereaux et macquerellages : et rendront compte des fautes que la fille aura faictes depuis qu’elle a esté seduicte, et de ce qu’elle aura esté delaissée, et n’aura trouvé party pour se marier. Et alors cognoistront-ils s’il y avoit de quoy se vanter et se glorifier d’un acte si execrable que cestuy-là [c]........ Contreviennent aussi à ce commandement ceux et celles qui contre l’ordre de nature abusent de leurs membres, et qui commettent ce vice énorme et detestable qu’on appelle Sodomie. Telle maniere de gens sont condamnez à mort par la loy de Dieu, ainsi que nous lisons au Levitique, xx. chap... [d]. Contrevien-

  1. (*) Quintilianus, Institut. Orat., lib. VIII, cap. VI. De Tropis.
  1. Là même, pag. 125.
  2. Chevræana, IIe. part., pag. 275, 276.
  3. Monluc, évêque de Valence, Sermons sur les dix commandemens de Dieu, pag. 504, édit. de Vascosan, 1558, in-8°.
  4. Monluc, évêque de Valence, Sermons sur les commandemens de Dieu, pag. 506.