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ÉCLAIRCISSEMENT

nent à ce commandement ceux qui vivent ordinairement en delices et voluptez, en festins, banquetz et superfluitez de viandes, et nourrissent leur corps pour en faire un vaisseau de luxure et de paillardise. Lesquels ont esté depeints au vif par sainct Pierre en son epistre seconde, au second chap... [a]. Ils font grand’chere, et banquettent ensemble avecques vous : ils ont les yeux pleins d’adultere, et ne sçavent cesser de pécher, amorçans les ames inconstantes, c’est à dire, tout leur but, leur soing et leur intention ne tend à autre fin que d’amorçer les pauvres ames, et par leurs banquets et festins les attirer à commettre adultere, et toute espece d’ordure. Tellement que leur maison est un bordeau, un temple où se font les assemblées, où l’on dresse les parties, où les femmes sont seduictes : et (pour le dire en un mot) c’est la peste d’un pays. Et toutefois telle maniere de gens sont les plus estimez, et les plus honorez, et principalement ceux qui sont les chefs de bande, et comme coqz de la paroisse [b]. »

L’usage que l’on peut tirer des extraits de ce sermon est de connaître que la liberté de s’exprimer d’une façon si naïve n’est point mauvaise en elle-même ; car en ce cas-là elle n’eût pas pu être bonne au temps de Henri II. Or si elle était bonne en ce temps-là, un prédicateur qui s’en servirait aujourd’hui ne serait blâmable qu’à cause qu’il ne se conformerait pas à la mode. Mais si quelqu’un se hasardait aujourd’hui à porter la fraise ne choquerait-il point la mode ? Il ne pécherait pas pourtant.

(B) Un passage de M. Costar qui a un très-grand rapport avec la matière que je traite. ] Le poli Voiture, (qui le croirait ?) fut accusé d’obscénité [c], ce bel esprit qui savait si bien les manières du grand monde, et du beau monde : mais voyons ce que son apologiste répondit. « Il n’est guère de dame qui ne récite, et qui ne chante aux occasions, les vers que M. de Voiture a faits sur le derrière d’une demoiselle ; et je n’en sais pas une qui ne prononce hardiment un cul d’artichaut et un cul-de-sac [d] : » On allègue après cela entre autres choses le passage que j’ai rapporté ci-dessus [e], et puis on ajoute ces paroles remarquable, Écoutons notre ridicule grondeur [* 1]. On avait peur qu’il n’y eût pas suffisamment de ces bons-mots dans les lettres de M. de Voiture, et qu’il fût en cela inférieur à Plaute et à Aristophane. Il a été besoin d’ajouter en la dernière impression ces termes, qui manquaient à la lettre 178 : Je consens que l’on châtre Ulpien puisque vous le voulez, et même Papinien ; aussi-bien n’engendrent-ils que des procès. Cette pensée est la plus jolie du monde. Jusqu’ici j’avais toujours ouï dire à pleine bouche qu’un livre était châtré, pour exprimer qu’on en avait retranché quelque chose et qu’il n’était pas entier. Si notre adversaire avait du crédit à l’académie, il ferait ordonner qu’on abolirait cette façon de parler licencieuse, et qu’on mettrait cette honnête phrase en sa place, incommoder des livres et les faire eunuques. Les passages de Quintilien [* 2] qu’il cite dessus sont très-mal cités, et ce rhéteur soutient que si on trouvait sales quelques façons de parler de Salluste, ce n’était pas la faute de l’écrivain, que c’était celle des lecteurs. Et pour Celsus, qui s’imaginait quelque ordure dans un demi-vers de Virgile, ce même rhéteur le condamne et prononce hardiment que si on recevait de semblables délicatesses il n’y aurait plus de sûreté à parler, et qu’on serait réduit à se taire [f]. Vous remarquerez que Costar,

  1. (*) Pag. 72 et 73.
  2. (*) Pag. 73. Ductare exercitus ; et patrare bellum apud Sallustium dicta sanctè antiquè ridentur à nobis, si Diis placet : quam culpam non scribentium quidem judico, sed legentium Quintil., lib. 8, cap. 3. Si quidem Celsus cacophaton apud Virgilium putat, Incipiunt agitata tumescere ; quod si recipias, nihil loqui tutum est. Ibid.
  1. Là même, pag. 507.
  2. Là même, pag. 501.
  3. Voyez la section XI de la Réponse de Girac à la Défense de Voiture.
  4. Costar, suite de la Défense de Voiture, pag. 189.
  5. Cit. (113) de l’article Hospital (Michel de l’) tom. VIII, pag. 267.
  6. Costar, suite de la Défense de Voiture, pag. 191, 192.