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ZEUXIS.

de Zeuxis. Mais pourquoi faut-il lui assigner un tel temps ? Parce que Zeuxis ne s’est signalé qu’à la fin de la 95e. olympiade. C’est une faible raison : faut-il qu’un peintre ne fasse du bruit que soixante ans après son apprentissage ? J’aimerais donc mieux la leçon ordinaire de Pline que celle des manuscrits de la bibliothéque du roi. Je n’ai garde d’imputer à un aussi habile homme que le père Hardouin ce que je vais dire ; il faut que ses imprimeurs aient oublié quelques chiffres. Il prétend que Suidas s’accorde avec Pline sur le temps de Zeuxis, puisque Suidas, appuyé sur Aristote, met la naissance ce peintre à l’olympiade 86, et le fait fleurir au temps d’Isocrate. Peu après on réfute la leçon vulgaire de Pline touchant la 89e. olympiade, par la raison qu’il est constant, en vertu même de ce qu’on venait de rapporter de Suidas, que Zeuxis mourut en la 89e. olympiade. Je suis sûr que si mes yeux ne me trompent point, les imprimeurs du père Hardouin ont brouillé ici les lettres numérales de l’original.

Au reste, je ne voudrais pas trop m’attacher à la précision de Pline, elle me paraît mal placée [1]. Ce n’est pas sur la réputation d’un grand homme qu’il faut regarder de si près au temps, et il serait aisé de prouver, en prenant droit sur les propres paroles de cet auteur, qu’il eût été plus exact s’il eût marqué la chronologie d’une façon un peu plus vague. Car que veut-il dire par cette quatrième année de la 95e. olympiade ? veut-il dire qu’avant ce temps-là Zeuxis avait vécu dans l’obscurité, et qu’il ne commença à se faire connaître que cette année ? Mais ce n’est pas ainsi que l’on doit marquer le temps où quelqu’un fleurit ; il faut le marquer par rapport à une réputation qui ait eu quelque durée ; et si Pline en avait usé autrement pour Zeuxis, il se serait bien trompé. En effet, il vous apprend que ce peintre ne donna pour rien ses ouvrages qu’après qu’il se fut extrêmement enrichi. Or, quand il les donnait pour rien, Archélaüs était en vie ; car le don qu’il fit de Pan à Archélaüs est un des exemples de sa libéralité rapportés par Pline. Il avait donc acquis avec de grandes richesses une grande réputation par la peinture, avant la mort du dernier Archélaüs, c’est-à-dire avant la fin de la 94e. olympiade [2] ; et par conséquent Pline se serait étrangement abusé, s’il avait mis le commencement de la réputation de Zeuxis à la 4e. année de la 95e. olympiade. Je crois, pour moi, qu’il faudrait prendre le milieu entre Eusèbe et Pline, d’autant plus que nous lisons dans Plutarque [3] que ce grand peintre florissait lorsque Périclès fit construire un grand nombre d’édifices publics, dont il donna l’intendance à Phidias. Or, sans alléguer que Pline [4] a mis Phidias dans la 84e. olympiade, il est sûr que Périclés fit faire ces bâtimens plusieurs années avant sa mort, qui arriva durant la 87e. olympiade. On ne voit donc pas que Pline ait eu beaucoup de raison de réfuter ceux qui ont mis Zeuxis à la 89e. olympiade, et de n’en faire alors qu’un jeune élève.

(B) Ce que l’on sait touchant sa patrie est un peu confus. ] Car encore que le témoignage de Tzetzès [5], qui le fait natif d’Éphèse, ne doive point nous faire douter qu’il ne soit né à Héraclée, puisque Cicéron [6], Pline [7] et Élien [8], s’accordent à l’assurer, ce n’est point un fort petit embarras que de choisir entre un grand nombre de villes qui ont porté le nom d’Héraclée celle où Zeuxis est venu au monde. Il y en a qui conjecturent qu’il était d’Héraclée, proche de Crotone dans l’Italie [9].

  1. Ab hoc (Apollodoro) artis fores apertas Zeuxis Heracleotes intravit, olympiadis nonagesimæ quintæ anno quarto, audentemque jam aliquid penicillum (de hoc enim adhuc loquimur) ad magnam gloriam perduxit, à quibusdam falsò in octogesimâ nonâ olympiade positus, cum fuisse necesse est Demophilum Himeræum, et Neseam Thasium, quoniam atrius eorum discipulus fuerit, ambigitur. Plin., lib. XXXV, cap. IX, page m. 198, 199.
  2. Eusèbe met la mort de cet Archélaüs à l’an 3 de la 94e. olympiade,
  3. Dans la Vie de Périclès.
  4. Lib. XXXIV, cap. VIII.
  5. Iliad. VIII, Histor. CXCVI.
  6. Lib. II, de Inventione.
  7. Plin., lib. XXXV, cap. IX.
  8. Var., Hist., lib. IV, cap. XII ; et lib. XIV, cap. XVII et XLVII.
  9. Harduin., in Plin., tome V, page 199. Jacob. Proust, in Cicer., lib. II de Invent. Notez