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ZEUXIS.

Hardouin [1] l’assurent ; il dit en général qu’on le voyait aux ouvrages d’Apollodore, οὗ τοῖς ἔργοις ἐπιγέγραπται, Μωμήσεταί
τις μᾶλλον ἢ μιμήσεται. Cujus operibus inscriptum fuit, faciliùs hæc culpabit quis quàm imitabitur. Ce n’est pas la seule chose que Plutarque attribue à Apollodore au lieu de l’attribuer à Zeuxis comme font d’autres ; il veut aussi qu’Apollodore ait été l’inventeur des ombres dans la peinture, ἀνθρώπων πρῶτος ἐξευρὼν φθορὰν καὶ ἀπόχρωσιν σκιᾶς.
Primus hominum invenit colorum temperationem diversorum et umbræ coloribus exprimendæ rationem. Voici tout le passage selon la version d’Amyot : Apollodorus, le premier de tous les hommes qui a inventé les definissemens et des coloremens ombres, estoit Athenien, sur les ouvrages duquel il y avoit escrit,

On l’ira plustost regrattant
Que l’on ne l’ira imitant.


Un de nos poëtes [2] témoigna une pareille confiance eu égard à sa Franciade, par ces quatre vers :

Un lit ce livre pour apprendre,
L’autre le lit comme envieux :
Il est bien aisé de reprendre,
Mais mal aisé de faire mieux.

(H) Il ne se piquait pas d’achever bientôt ses tableaux. ] Plutarque rapporte que Zeuxis sachant qu’Agatarchus se glorifiait de peindre facilement, et en peu de temps, dit que pour lui il se glorifiait au contraire de sa lenteur, parce que c’était le moyen de faire un ouvrage de longue durée [3]. Le même Plutarque, dans un autre livre [4] rapporte la chose comme si Zeuxis avait avoué à quelques-uns qui lui reprochaient sa lenteur, qu’à la verité il estoit long-tems à peindre, mais que c’estoit aussi : pour long-tems. Tout le monde le fait répondre qu’il peignoit pour l’éternité : et c’est ainsi qu’en dernier lieu on a appliqué sa pensée au Dictionnaire de l’Académie française, dans la préface de celui de Furetière. C’est à ceux qui amplifient la vanterie de ce peintre à voir quels garans ils en ont.

(I) C’est Verrius Flaccus qui le rapporte. ] Il y joint deux vers qui font allusion à cette aventure,

Nam quid modi facturus risu denique,
Ni pictor fieri vult qua risu mortuus est ?


Mais s’il est vrai que Zeuxis soit mort de la sorte, comment a-t-il pu se faire que si peu d’auteurs en aient parlé ? Qu’y avait-il dans toute sa vie d’aussi digne de remarque qu’une telle singularité de sa fin ? Cependant parmi cette foule d’anciens qui ont fait mention de Zeuxis, il n’y a que Verrius Flaccus qui nous ait appris cette singularité. Encore l’a-t-il fait par hasard, et si peu à propos qu’il en a été grondé par son abréviateur Pompéius Festus, comme si un fait de cette nature n’eût pas dû entrer dans un ouvrage où l’on s’était proposé de traiter de la signification des mots. Je voudrais que nous eussions le passage de Verrius Flaccus en son entier. Ce qui nous en reste était dans le plus pitoyable état du monde avant que Joseph Scaliger y eût appliqué sa critique divinatrice. Si MM. Moréri et Hofman avaient connu cette source, ils l’auraient indiquée, comme cela se devait, et ils nous eussent donné les deux vers latins un peu plus intelligibles. Le bon Ravisius Textor [5] n’a point mis notre peintre dans son catalogue de ceux qui sont morts de rire : c’est sans doute une omission involontaire.

Notez que Simon Majol, évêque de Volturara, s’est fort trompé sur ce fait. Zeuxis pictor, dit-il [6], deformissimam spectans quandam picturam solutus in risum expiravit. Verrius alter pictor quòd anum quandam deformissimam pinxisset eandem mortem in risum solutus oblit, Rhodigino teste, l. IV, c. XVIII. Il y a un gros péché d’omission dans ce qu’il conte de Zeuxis, et un péché énorme de commission dans le reste : car ce Verrius, prétendu peintre, et mort de rire, est un personnage chimérique : outre que Rhodiginus est trés-mal cité. Voyez la note [7] ; vous

  1. In Plin., tome V, page 200.
  2. Ronsard. Voyez sa Vie.
  3. Plut., in Vitâ Periclis, page 159.
  4. Idem, de multitudine Amicorum, p. 94.
  5. Voyez son Officina ou Theatrum Historicum, lib. II, cap. LXXXVII.
  6. Simon Majolus, Dierum Canicularium, colloq. IV, page 165, edit. Romanæ 1597.
  7. Zeuxin pictorem risu emortuum prodidit Verrius, dum anum à se pictam ridet affluen-