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ACOSTA.

rituels, et à consulter les sommes des confesseurs : mais plus il s’attachait à cela, plus il sentait croître ses difficultés, et enfin elles l’accablèrent si fort, que, n’y pouvant trouver aucun dénoûment, il se vit livré à des inquiétudes mortelles. Il ne voyait pas qu’il lui fût possible de s’acquitter ponctuellement de son devoir, à l’égard des conditions que l’absolution demande, selon les bons casuistes ; et ainsi il désespéra de son salut, en cas qu’il ne le pût obtenir que par cette voie. Mais, comme il lui était difficile d’abandonner une religion à laquelle il était accoutumé depuis son enfance, et qui s’était profondément enracinée dans son esprit par la force de la persuasion, tout ce qu’il put faire fut de chercher s’il ne serait pas possible que ce que l’on dit de l’autre vie fût faux, et si ces choses-là sont bien conformes à la raison. Il lui semblait que la raison lui suggérait incessamment de quoi les combattre. Il avait alors environ vingt-deux ans, et voilà l’état où il se tint : il douta ; et, quoi qu’il en fût, il décida que, par la route où l’éducation l’avait mis, il ne sauverait jamais son âme. Il étudiait cependant en droit, et il impétra un bénéfice [a] à l’âge de vingt-cinq ans. Or, comme il ne voulait point être sans religion, et que la profession du papisme ne lui donnait point de repos, il lut Moïse et les prophètes, y trouva mieux son compte que dans l’Évangile : et se vit enfin persuadé que le judaïsme était la vraie religion : mais, ne pouvant pas le professer dans le Portugal, il se résolut à sortir de son pays. Il résigna son bénéfice, et il s’embarqua pour Amsterdam avec sa mère et avec ses frères qu’il avait eu le courage de catéchiser (B), et qu’il avait effectivement imbus de ses opinions. Dès qu’ils furent arrivés là, ils s’agrégèrent à la synagogue, et furent circoncis selon la coutume. Il changea son nom de Gabriel en celui d’Uriel. Peu de jours lui suffirent pour reconnaître que les mœurs et les observances des juifs n’étaient pas conformes aux lois de Moïse : il ne put garder le silence sur une telle non-conformité ; mais les principaux de la synagogue lui firent entendre qu’il devait suivre de point en point leurs dogmes et leurs usages ; et que, s’il s’en écartait tant soit peu, on l’excommunierait. Cette menace ne l’étonna point : il trouva qu’il siérait mal à un homme qui avait quitté les commodités de sa patrie pour la liberté de conscience, de céder à des rabbins qui étaient sans juridiction (C), et qu’il ne ferait paraître ni du cœur, ni de la piété, s’il trahissait ses sentimens dans une pareille rencontre : c’est pourquoi il continua son train. Aussi fut-il excommunié, et avec un tel effet, que ses propres frères, je parle de ceux qu’il avait instruits au judaïsme, n’osaient lui parler ni le saluer quand ils le trouvaient dans les rues. Se voyant en cet état, il composa un ouvrage pour sa justification, et il y fit voir que les observances et les traditions des Pharisiens sont contraires aux écrits de

  1. La dignité de Trésorier dans une église collégiale.