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ACRONIUS.

que cet ennemi de Dieu et des hommes a établies, que de garder la neutralité. On peut donc croire que les Pharisiens, qui persécutaient Acosta, ne faisaient valoir leur objection, qu’à cause qu’ils la trouvaient propre à effaroucher le peuple et à intéresser les chrétiens dans ce procès. J’avoue qu’ils auraient fait moins de vacarme s’il eût embrassé le christianisme à Amsterdam, ou le mahométisme à Constantinople ; mais ils ne l’eussent pas trouvé effectivement moins perdu, moins damné, moins apostat : leur ménagement n’aurait été qu’une retenue de politique, et l’effet d’une juste crainte du ressentiment de la religion dominante. À juger des choses selon les premières impressions, il n’y a guère de protestans qui, sur la nouvelle que Titius aurait quitté la profession de l’église réformée, sans entrer dans aucune autre communion, ne prétendissent qu’il serait plus criminel que s’il s’était fait papiste ; mais je demanderais volontiers à ces protestans : Vous êtes-vous bien sondés ? Avez-vous bien examiné ce que vous diriez en cas qu’il fût devenu un grand dévot du papisme, qu’on le vît chargé de reliques, et courir à toutes les processions, et qu’en un mot il pratiquât tout ce qu’il y a de plus outré dans l’idolâtrie et dans les superstitions des moines ? Pourriez-vous répondre que vous ne changeriez pas de langage, si vous appreniez qu’il s’était fait juif, ou mahométan, ou adorateur des pagodes de la Chine ? Encore un coup, c’est ainsi que l’esprit de homme est tourné : la première chose qui le frappe est la règle de ses passions ; il profite de l’état présent, et ne cherche point ce qu’il dirait sous une autre conjoncture. Ce particulier nous a quittés, et n’a point pris de parti ailleurs ; c’est par là qu’il faut l’attaquer : son indifférence doit être son plus grand crime : s’il s’était fait païen, nous l’attaquerions par là, et nous dirions, ou pour le moins nous le penserions : Encore s’il s’était tenu neutre et attaché au gros de la religion naturelle, passe ; mais, etc.

Par la seconde réponse, Acosta ôtait à ses adversaires un grand avantage : il se mettait à couvert de cette forte batterie : Il vaut mieux avoir une fausse religion que de n’en avoir. aucune. Nonobstant cela, nous conclurons que c’était un personnage digne d’horreur, et un esprit si mal tourné qu’il se perdit misérablement par les travers de sa fausse philosophie.

ACRONIUS (Jean) enseigna les mathématiques et la médecine à Bâle avec beaucoup de réputation, et composa quelques livres, de Terræ Motu, de Sphærâ, de Astrolabii et Annuli Astronomici confectione. Il était de Frise, et mourut à Bâle à la fleur de son âge, l’an 1563. Cet auteur a échappé à la diligence de Vossius [a], quoique Swertius et Valère André l’eussent mis dans leur Bibliothéque des Pays-Bas, où d’ailleurs ils ont oublié un autre Jean Acronius, qui était ministre, et natif peut-être de la même province que le précédent. Ce ministre était un esprit fort inquiet et fort séditieux. Il abandonna l’église de Wesel dans un temps où elle courait un grand risque ; il fit connaître à Deventer qu’on n’aurait pu l’y faire pasteur sans établir dans la ville un fort mauvais citoyen ; il se sépara peu honnêtement de l’église de Groningue ; il n’eut pas à Franeker la science qui lui était nécessaire pour la profession en théologie où il se fourra. Enfin il fut ministre à Harlem, et s’y comporta comme de coutume : il contredisait, il critiquait tout. L’historien de cette ville ne lui ôte pas la qualité d’homme fort docte ; mais il lui donne aussi celle d’un esprit turbulent[b]. Quelqu’un le compare à Heshu-

  1. Il n’en parle pas dans son livre de Scientiis Mathematicis.
  2. Theodore Screvelius.