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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/246

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ADAM.

paire de poulets. Je ne pense pas que Photius ait dit cela, et je serais fort trompé si ce n’est point une paraphrase trop licencieuse de ce jésuite, forgée sur ce que Photius rapporte touchant un certain homme marin, nommé Oé, que quelques-uns faisaient issu ἐκ τοῦ προτογόνου Ὤου[1], c’est-à-dire, selon le P. Garasse, en un autre livre[2], de la race du premier de tous les hommes qui s’appelait Œuf ; où, selon le P. Schotius, é primo parente Ὤου. Il y aurait mille recherches à faire sur l’œuf qui servit, selon la doctrine des anciens, à la génération des choses lorsque le chaos fut débrouillé. Nous en toucherons quelques particularités sous le mot Arimanius.

(B) Et lui ôta une côte. ] Un auteur moderne[3], voulant montrer aux catholiques romains qu’ils ont tort de se croire plus habiles que les protestans, leur reproche entre autres bévues celle d’un prédicateur[4], qui dit qu’Adam avait été formé de l’une des côtes d’Ève. Il rapportait qu’un philosophe, ayant proposé ces trois questions à Théodore, disciple de saint Pacôme : Quel homme n’est point né, mais est mort ? Quel homme est né, mais n’est point mort ? Quel homme est né et mort, mais non pas pouri ? eut pour réponse que les trois personnes en question étaient Adam, Énoch et la femme de Loth. Adam n’est point né, ajouta le prédicateur, car il a été formé de l’une des côtes d’Ève. Son sermon a été imprimé à Vienne en Autriche l’an 1654, avec l’appréciation du sous-doyen des professeurs en théologie, qui était alors le père Léonard Bachin, jésuite. Cet approbateur déclare qu’il a lu le livre, et qu’il n’y a rien trouvé contre la foi, ni contre les bonnes mœurs ; preuve du peu d’attention avec quoi les censeurs des livres examinent certains manuscrits.

(C) Ils s’apercurent qu’ils étaient nus. ] L’Écriture dit que leurs yeux furent ouverts. Cette expression fit croire au peuple qu’Adam et Ève furent aveugles jusqu’à ce qu’ils eurent transgressé le commandement de Dieu : Neque enim cœci creati erant, ut imperitum vulgus opinatur[5]. Saint Augustin réfute solidement cette fausseté en divers endroits de ses écrits[6], et dit que cette ouverture des yeux de nos premiers pères consista en ce qu’ils s’aperçurent de certains mouvemens corporels qu’ils ignoraient auparavant, et qui leur donnèrent de la honte : Existitit in motu corporis quædam impudens novitas, undè esset indecens nuditas, et fecit attentos, reddiditque confusos[7].

(D) Ce que l’on dit de sa vaste science. ] M. Moréri ne se contente pas d’assurer en général qu’Adam avait une parfaite connaissance des sciences et surtout de l’astrologie, dont il apprit plusieurs beaux secrets à ses enfans, il ajoute que Josephe dit qu’Adam grava sur deux diverses tables des observations qu’il avait faites sur le cours des astres. J’ai cherché cela dans Josephe ; mais j’y ai seulement trouvé que les descendans de Seth, fils d’Adam, inventèrent l’astrologie, et qu’ils firent graver leurs inventions sur un pilier de brique et sur un pilier de pierre, afin de les préserver de la destruction générale, qui, selon les prédictions d’Adam, devait arriver une fois par le feu et une fois par le déluge[8]. Quand on est capable de falsifier de la sorte un auteur qu’on cite, on ne regarde pas assez près au texte de ses témoins pour ne leur rien faire dire que ce qu’ils déposent. Ainsi je ne m’étonne nullement que M. Moréri attribue à notre premier père d’avoir imposé le nom aux plantes ; je ne m’en étonne point, dis-je, encore que l’Écriture ne le fasse auteur que du nom des bêtes. Ceux qui infèrent de cette imposition de noms qu’Adam était un grand philosophe, ne raisonnent pas assez bien pour mériter d’être réfutés. Pour revenir à la vaste science qu’on attribue à Adam, je dis

  1. Photius ex Helladio, Biblioth. pag. 1583, num. 279.
  2. Somme Théologique, pag. 126, où il rapporte ceci avec mille altérations.
  3. Daniel Francus, Disquis. de Indicib. Libror. prohibit. Epist. dedicat.
  4. Nommé Florentin Schilling, clerc régulier de Saint-Paul, et Barnabite.
  5. Augustin. de Civitat. Dei, lib. XIV, cap. XVII.
  6. Ibid, et lib. XI de Genesi ad Litter. cap. XXXI ; et lib. I, de Nupt. et Concupisc., cap. V ; et lib. I Locutionum in Genes. num. 9 ; et lib. II de Peccat. Merit. et Remiss. cap. XXII.
  7. Id. de Civit. Dei, lib. XIV, cap. XVII.
  8. Joseph. Antiquit. lib. I, cap. II.