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ADAM.

que, selon l’opinion commune[1], il savait plus de choses, dès le premier jour de sa vie, qu’aucun homme n’en peut apprendre par une longue expérience. Il n’y avait guère que l’avenir casuel, les pensées du cœur et une partie des individus qui échappassent à son esprit. Cajétau, qui a osé lui dérober la parfaite connaissance des astres et des élémens, en a été fort censuré. Quelques-uns ayant voulu mettre en dispute si Salomon ne doit point être excepté de la thèse générale qui met les lumières d’Adam au-dessus des lumières de tous les autres mortels, ont été condamnés à reconnaître qu’Adam était plus habile que Salomon. Il est vrai que Pinédo en excepte la politique ; mais on n’a point d’égard à son sentiment particulier ; on prononce que l’entendement spéculatif du premier homme était imbu de toutes les connaissances philosophiques et mathématiques dont le genre humain est naturellement capable, et que son entendement pratique possédait une prudence consommée à l’égard de tout ce que l’homme doit faire, soit en particulier, soit en public ; et outre cela toutes les sciences morales et tous les arts libéraux, la rhétorique, la poésie, la peinture, la sculpture, l’agriculture, l’écriture, etc. Chacun sait les louanges qui ont été versées à pleines mains sur la mémoire d’Aristote, comme si l’on s’était étudié à renvier les uns sur les autres. On avait déjà épuisé toutes les idées et toutes les comparaisons, lorsqu’un bon chartreux, voulant escalader un superlatif auquel on n’eût point encore porté la vue, soutint que la science d’Aristote était aussi étendue que celle d’Adam[2]. Quelques rabbins se sont contentés d’égaler, en fait de science, le premier homme à Moïse et à Salomon[3] ; mais quelques autres ont soutenu qu’il surpassait en cela les anges, et en ont allégué pour preuve le témoignage de Dieu lui-même[4]. Ils disent que les anges ayant parlé de l’homme avec quelque sorte de mépris lorsque Dieu les consulta sur sa création, Dieu leur répliqua que l’homme était plus habile qu’eux, et pour les en convaincre, il leur présenta toutes sortes d’animaux et leur en demanda le nom : ils ne surent que répondre. Tout aussitôt il fit la même question à l’homme, qui les nomma tous l’un après l’autre ; et interrogé quel serait son nom et quel était celui de Dieu, il répondit tout-à-fait bien, et donna à Dieu le nom de Jehovah. Selon ces mêmes rabbins, voici le sens qu’il faut donner à cet aphorisme de leurs docteurs, la taille d’Adam s’étendait d’un bout du monde à l’autre ; c’est qu’il connaissait toutes choses[5].

(E) Touchant la beauté d’Adam. ] Si l’on s’était contenté de dire qu’il était bel homme et bien fait, on n’aurait rien dit qui ne fût probable ; mais on a donné sur cette matière dans les gaietés de la rhétorique et de la poétique, et même dans la vision. On a débité que Dieu, voulant créer l’homme, se revêtit d’un corps humain parfaitement beau, et qu’il forma sur ce modèle le corps d’Adam. Par là, Dieu a pu dire à l’égard du corps, qu’il a fait l’homme à son image. On ajoute que cette apparition de Dieu sous la forme humaine fut le premier prélude de l’incarnation : c’est-à-dire que la seconde personne de la Trinité se revêtit des apparences de la même nature qu’il devait un jour prendre, jusqu’à la chair et aux os ; et que, sous l’apparence du plus bel homme qui ait jamais été, il travailla à la production d’Adam, lequel il fit une copie de ce grand et divin original de beauté dont il s’était revêtu : Hanc speciem divinamque pulchritudinem clementissimus formosissimusque assumens, quam erat post multa tempora usque ad carnem et ossa assumpturus, creabat hominem, largiens ei speciem hanc tantam, ipse primus archetypus, speciosissimus ipse speciosissimæ prolis creator[6]. Il ne faut pas s’étonner après cela qu’on fasse ces exclamations : Quantam qualemve credas fuisse primi hominis illius venustatem ? quantum in ore decus, quas gratias insedisse[7] ?

  1. Voyez Saliani Annalium tom. I, pag. 107, 113.
  2. Henri de Hassia. Il vivait au commencement du XVe. siècle.
  3. Apud Rivini Serpent. seduct., pag. 50.
  4. Ibid, pag. 49, 56, 57.
  5. Ibid., pag. 56.
  6. Eugubin. in Cosmopæiâ, apud Salian. Annal., tom. I, pag. 106.
  7. Id. ibid.