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ADONIS.

véritable explication de ce vers, dit-il, est que le sanglier τῶ πυρὶ προσελθὼν, en se jetant dans le feu, ἔκαιε τὼς ἕρωτας, brûla en même temps ses amours. Il y a non-seulement de la raison, mais de la finesse, à dire que ce sanglier, brûlé auparavant par son amour, avait trouvé à son tour le secret de le brûler. Politien a bien fait valoir cette pensée dans l’épigramme qu’il fit sur Pic de la Mirande, qui jeta au feu ses vers d’amour. Ajoutez à tout ceci, qu’il est bien difficile de s’imaginer comment l’amoureux sanglier aurait pu mettre ses dents au feu et les brûler, sans se brûler lui-même.

(E) Grand attirail de cérémonies anniversaires. ] Aristophane dans sa comédie de la Paix compte la fête d’Adonis pour l’une des principales fêtes des Athéniens. Presque tous les peuples de la Grèce la célébraient : les femmes y jouaient le principal personnage, en pleurant la mort de ce galant, ou de ce mari[1] de Vénus : Feminæ miserabili planctu in primævo flore succisam spem gentis solitis fletibus conclamabant, ut lacrymare cultrices Veneris sæpè spectantur in solemnibus Adonidis sacris[2]. Elles y faisaient des funérailles en peinture, comme nous l’apprend Plutarque, dans la Vie d’Alcibiade, et dans celle de Nicias. Les courtisanes n’étaient pas des moins empressées à célébrer cette grande solennité, comme on le peut recueillir d’un passage du poëte Diphilus, rapporté par Athénée[3]. On n’oubliait pas de dresser deux lits, dans l’un desquels on couchait la figure de Vénus, et dans l’autre celle d’Adonis. C’est ce qu’on apprend de Théocrite[4]. Les esprits forts se moquaient d’un culte de religion qui consistait à pleurer : Quid absurdius quàm.... homines jam morte deletos reponere in Deos, quorum omnis cultus esse futurus in luctu[5] ? Saint Augustin approuve cette raillerie : Sacra sunt Veneris, dit :[6], ubi amatus ejus Adonis aprino dente exstinctus juvenis formosissimus plungitur. Les peuples de Syrie étaient encore plus fous à cet égard-là que les Grecs, puisqu’ils ne se contentaient pas de gémir et de pleurer, ils se donnaient aussi la discipline ; et après s’être fouettés, et avoir assez pleuré, ils faisaient le sacrifice des morts pour Adonis, et se rasaient la tête. Les femmes qui ne voulaient pas être rasées devaient se prostituer tout un jour aux étrangers ; et l’argent qu’elles gagnaient était employé à un sacrifice qu’on offrait à Vénus. Le deuil finissait par la joie ; car on feignait qu’Adonis avait recouvré la vie. Lucien, qui nous apprend ces circonstances, dit aussi que les Syriens prétendaient qu’Adonis avait été tué par un sanglier dans leur pays[7]. Voyez la remarque (I), où nous dirons, entre autres choses, que cette fête se célébrait encore à Alexandrie, au temps de saint Cyrille. La procession était pompeuse, puisque la reine même y portait le simulacre d’Adonis. Arsinoé, femme de Ptolémée Philadelphe, reçoit sur cela de l’encens de Théocrite[8]. Les femmes qui accompagnaient la reine portaient des fleurs et des fruits, et cent autres choses. On prétend que tout cela, et le simulacre même d’Adonis, devaient être jetés dans la mer, ou dans des fontaines. Voyez Hesychius, Zenobius, Suidas, le Scoliaste de Théocrite, cités par Fasoldus, aux pages 75 et 76 de son Iérologie des anciens Grecs. Les jardins d’Adonis ont passé en proverbe, pour signifier une chose de passade, et qui n’est pas faite pour durer. C’est manifestement en ce sens-là que Platon, que Plutarque, et que l’empereur Julien, se sont servis de ce proverbe, dont l’origine venait de ces pots et de ces corbeilles de fleurs qu’on portait en procession pendant la fête d’Adonis. Voyez Érasme à la page 23 de ses Adages. Au reste, il y a de l’apparence que la célé-

  1. Vénus, dans l’Idylle XXXe. de Théocrite, le nomme son mari.

    Σύ μου τὸν ἄνδρ᾽ τυψας ;
    Tun’ meum virum percussisti ?

    Bion dans l’Idylle sur la mort d’Adonis, représente Venus, βοόωσα πόσιν, appelant son mari ; et Cicéron, de Naturâ Deorum, lib. III, cap. 23, parle d’une Vénus de Syrie, mariée à Adonis. Voyez l’Idylle XV de Théocrite ; et Firm. Maternus, de Error. prof. Relig., pag. 21.

  2. Amm. Marcel., lib. XIX, cap. I.
  3. Athen., lib. VII, pag. 292.
  4. Theocrit. Eidyll. XV.
  5. Cic. de Naturâ Deor., lib. I, cap. XV.
  6. August. de Civit. Dei, lib VI, cap. VII. Voyez aussi Firm. Mater. de Errore profan. Relig., pag. 21.
  7. Lucianus, de Deâ Syriâ.
  8. Theocrit. Eidyll. XV. Voyez le sommaire de cette Idylle.