Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/297

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
251
AGATHON.

m’étonnerais qu’un correcteur d’imprimerie n’en eût pas été épouvanté. Car qu’y a-t-il de plus énorme que de soutenir qu’il n’est jamais vraisemblable qu’une chose arrive conformément à la vraisemblance ? Voilà le bel axiome que l’on prête à notre Agathon dans le Prince de Balzac ; mais la suite du discours témoigne que si la pensée de ce poëte a été gâtée sur le papier, elle ne l’a pas été dans l’esprit de l’écrivain : il est sûr que Balzac a voulu dire avec Agathon, que cela même est vraisemblable, que beaucoup de choses arrivent contre la vraisemblance. Euripide trouvait si beau cet aphorisme, qu’il l’a répété cinq fois ; car, dit M. Costar[1], il a fini sa Médée, son Alceste, son Andromaque, ses Bacchiques et son Hélène par cette sentence[* 1] : « Les dieux se jouent de la prévoyance des hommes, et trompent également leurs espérances et leurs craintes. Ils détournent quelquefois des événemens que tout le monde attendait ; et, ouvrant des passages et des chemins inconnus, font réussir des desseins apparemment impossibles. » Sénèque s’est très-bien servi de cette pensée pour rassurer ceux qui s’étonnent des approches apparentes et très-probables de la mauvaise fortune : Combien de choses, dit-il, sont arrivées que personne n’attendait ; combien d’autres n’ont jamais paru, quoique tout le monde les attendît ? Il n’y a rien de si assuré parmi celles que l’on redoute, qu’il ne soit encore plus certain que nos craintes et nos espérances n’ont quelquefois aucune suite. Les paroles de Sénèque ont plus de force, il vaut mieux les copier : Verisimile est aliquid futurum mali ? Non statìm verum est. Quàm multa non exspectata venerunt, quàm multa exspectata nunquàm comparuerunt !… multa interveniunt quibus vicinum periculum vel propè admotum, aut subsistat, aut desinat, aut inalienum caput transeat… habet etiam mala fortuna levitatem : fortassè erit, fortassè non erit. Interim dùm non est meliora propone..… nihil tam certum est ex his quæ timentur, ut non certius sit et formidata subsidere, et sperata decipere[2]. Le cardinal Pallavicin s’est fort emporté contre Fra-Paolo, qui a pris la réception de la doctrine de Zuingle par les cantons évangéliques, comme une preuve manifeste qu’une cause plus relevée que Zuingle s’était mêlée là-dedans. Je laisse là les réflexions du Pallavicin ; mais je copie ce qu’il emprunte d’Aristote, qu’il arrive quelquefois que les choses les plus probables sont fausses ; car, si elles étaient toujours séparées de la fausseté, elles seraient certaines, et non pas probables. Vous allez voir qu’on se fonde sur cette maxime pour accuser de témérité et de présomption ceux qui se mêlent de juger de la providence de Dieu. Un tel est chrétien et dévot ; donc il est prédestiné au salut : un tel est mahométan et scélérat ; donc il est prédestiné à la damnation. Conséquences téméraires, puisqu’elles trompent quelquefois. C’est le cardinal Pallavicin qui le remarque ; voici le passage tout entier : Per tanto chi ascrive le prosperità della miglior causa ad una volontà che Dio habbia di farla stabilmente prevalere alla rea ; discorre con pietà probabile e saggia : quantunque talora s’inganni, secondo l’insegnamento del filosofo : che talvolta il più probabile è falso, perciòche se da falsità fosse esente, non saria probabile, mà certo. E se basta il potersi ingannare acciòche ogni giudicio, quantunque dubitativo della Providenza divina chiamisi presontuoso ; chiamerassi presontuoso chiunque dall’ haverlo Dio fatto nascere fra’ Cristiani e viver divotamente, prende conghiettura che l’habbia destinato alla vita eterna ; e ’l contrario s’avvisa di chi nacque Saraceno e vive scelerato : essendo manifesto poter succedere che il primo si danni, e ’l secondo si salvi[3].

Non-seulement les médecins doivent profiter de la sentence d’Agathon, mais aussi les nouvellistes. Un professeur de Leipsick exhorte les médecins à ne parler qu’avec beaucoup de précaution, s’ils veulent faire honneur à la médecine. Il veut qu’ils ne promet-

  1. (*) Πολλὰ δ᾽ ἀέλπτως κραίνουσι θεοί. Καὶ τὰ δοκηθέντ᾽ οὐκ ἐτελέσθη τῶν δ᾽ ἀδοκήτων πόρον εὗρεν θεός.

    même. Voyez les Remarques de Vaugelas, tom. II, pag. 180.

  1. Costar, suite de la Défense de Voiture, pag. 406.
  2. Seneca, Epist. XXIV, pag. 187.
  3. Pallavicini, Istor. del Concilio, lib. III, cap. VIII, pag. 303.