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AGÉSILAÜS.

tent point trop, qu’ils n’épouvantent pas aussi excessivement, et qu’ils parlent toujours conditionnellement, et avec un peut-être[1]. Tout cela, en vertu de la maxime de Sénèque, qu’on a vue ci-dessus. On peut donner un semblable avis aux grands raisonneurs sur les nouvelles : je parle des raisonneurs qui ont beaucoup de sagacité et beaucoup de jugement. Ils devinent juste en mille occasions : il leur arrive cent fois l’année de n’avoir pas lieu de se repentir du ton décisif avec lequel ils se sont moqués des espérances ou des menaces des gazetiers. Cela les rend plus hardis à rejeter magistralement toutes les nouvelles qui choquent la vraisemblance ; mais ils s’y échaudent quelquefois : car l’événement confirme en quelques rencontres les nouvelles les plus impertinentes et les plus extravagantes qui se puissent débiter, et qu’ils avaient condamnées comme des chimères ou comme des démarches incompatibles avec la sagesse qui a tant paru dans le conseil d’un état. Cette règle se dément ; elle attrape les raisonneurs qui s’y fient trop. Il est donc de la prudence d’aller un peu bride en main, et de ne pas prononcer des arrêts définitifs, sous prétexte que l’on a pour soi les apparences les plus plausibles. Mais si, même dans ce cas-là, il est juste de ne point faire le dictateur, quel blâme ne méritent pas ceux qui se mêlent de promettre, contre toutes les apparences, les plus grands succès, et de publier ces promesses comme fondées sur l’Apocalypse ?

(G) Cet Agathon, que le philosophe Platon aima tendrement. ] Ce philosophe fit un distique tout-à-fait tendre et si plein de sens, qu’un poëte latin y trouva de la matière pour dix-sept vers. Rapportons ici tout un chapitre d’Aulu-Gelle[2] : Celebrantur duo isti græci versiculi, multorumque doctorum hominum memoriâ dignantur, quòd sint lepidissimi et venustissimæ brevitatis. Neque adeò pauci sunt veteres scriptores, qui eos Platonis esse philosophi affirmant, quibus ille adolescens luserit, quùm tragædiis quoque eodem tempore faciendis præluderet :

Τὴν ψυχὴν, Ἀγάθωνα ϕιλῶν, ἐπὶ χείλεσιν ἔσχον.
Ἦλθε γὰρ ἡ τλήμων ὡς διαϐησομένη[3].


Hoc distichon amicus meus οὐκ ἄμουσος adolescens in plures versiculos licentiùs liberiusque vertit : qui quoniam mihi quidem visi sunt non esse memoratu indigni, subdidi.

Dùm semihulco savio
Meum puellum savior ;
Dulcemque florem spiritûs
Duco ex aperto tramite :
Animula ægra et saucia
Cucurrit ad labias mihi,
Rictumque in oris pervium,
Et labra pueri mollia,
Rimata itineri transitus,
Ut transiliret nititur.
Tùm si moræ quid plusculæ
Fuisset in cœtu osculi :
Amoris igni percita
Transîsset, et me linqueret :
Et mira prorsùm res foret,
Ut ad me fierem mortuus ;
Ad puerum at intùs viverem.

Notez que Platon n’était âgé que de quatorze ans lorsque notre poëte Agathon remporta le prix de la tragédie [4] : il n’y a donc pas beaucoup d’apparence qu’il ait soupiré pour lui : ce fut pour un Agathon beaucoup plus jeune.

  1. Biblothéque Universelle, tom. XIV, pag. 80, 81, dans l’extrait des Miscellanea curiosa Medica de Christianus Langius.
  2. Le XIe. du XIXe. livre.
  3. Notez que Diogène Laërce, liv. III, num. 32, en rapportant ces deux vers grecs, dit qu’ils furent faits par Platon, pour Agathon. On les a traduits ainsi dans l’édition grecque-latine de Diogène Laërce :

    Suavia dans Agathoni, animam ipse in labra tenebam :
    Ægra etenim properans tanquàm abitura fuit.

  4. Athen., lib. V, cap. XVIII, p. 217.

AGÉSILAÜS, premier du nom, roi de Sparte, succéda à son père Doryssus, qui était le cinquième roi depuis Eurysthènes. Le règne de cet Agésilaüs a été fort long (A), et néanmoins il ne fournit presque rien à un auteur. Les histoires de ces temps si reculés[a] ne se sont pas conservées. Pausanias ne devait pas

  1. Le règne d’Agésilaüs commence l’an du monde 2993, selon Helvicus, 24 ans après la mort de Salomon.