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AGIS.

Lacédémone. Voici un passage grec qui nous apprend qu’Agésilaüs regretta la perte de ce collègue. Ἀγησίλαος δὲ τοῦτο ἀκούσας, οὑχ ᾗ τι ἄν ᾤετο, ἐϕήσθη ὡς ἀντιπάλῳ, ἀλλά καὶ ἐδάκρυσε καὶ ἐπόθησε τὴν συνουσίαν[1]. Agesilaüs his auditis, non, ut quidam existimassent ob adversarii casum lætatus est, sed humaniter mortem illius lachrymatus est, et consuetudinem desideravit.

  1. Xenophon, de Gest. Græc., lib. V, p. 330.

AGIS, roi de Lacédémone, issu d’Agésilaüs II en droite ligne [a], eut une fin très-malheureuse. Il s’était mis en tête de réformer son royaume par le rétablissement des lois de Lycurgue ; mais il succomba sous le poids d’une entreprise qui ne pouvait être que désagréable à tous ceux qui possédaient de grands biens, et qui s’étaient tellement accoutumés aux douceurs d’une vie voluptueuse, qu’ils n’étaient plus capables de s’accommoder de l’ancienne discipline de Lacédémone. Agis, à la fleur de son âge, par un désir de gloire assez raffiné (A), conçut le dessein de cette réforme, et la pratiqua tout le premier en sa personne : ses habits et sa table étaient selon les manières du vieux temps ; ce qui méritait d’autant plus d’admiration, qu’Agésistrata, sa mère, et Archidamia, sa grand’mère, l’avaient élevé mollement[b]. Lorsqu’il sonda la disposition des esprits, il trouva les jeunes gens moins opposés à son projet que ceux qui avaient joui du relâchement de discipline plusieurs années. La plus grande difficulté paraissait devoir venir de la part des femmes (B). Elles avaient alors plus de crédit que jamais ; car leur règne n’est jamais plus grand que lorsque le luxe est à la mode. La mère d’Agésilaüs ne trouvait nullement son compte à cette réformation ; elle y aurait perdu ses richesses, qui la faisaient entrer de part dans mille sortes d’intrigues ; ainsi elle s’opposa d’abord au dessein d’Agis, et le traita de vision. Mais Agésilaüs, son frère, qu’Agis avait engagé dans ses intérêts, la sut tellement manier, qu’elle promit de seconder l’entreprise. Elle tâcha de gagner les femmes ; mais, au lieu de se laisser persuader, elles s’adressèrent à Léonidas, l’autre roi de Lacédémone, et le supplièrent très-humblement de faire avorter les desseins de son collègue. Léonidas n’osa point s’y opposer ouvertement, de peur d’irriter le peuple, à qui la réformation était agréable, parce qu’elle devait lui être utile. Il se contenta de la traverser par des intrigues, et en semant des soupçons, comme si Agis eût aspiré à la tyrannie par l’abaissement des riches et par l’élévation des pauvres. Agis ne laissa point de proposer au sénat ses nouvelles lois, qui portaient l’abolition des dettes et un nouveau partage des terres. Léonidas, soutenu par les gens riches, s’opposa si fortement à ce projet, qu’il y eut un suffrage de plus pour la rejection que pour l’admission. Il paya chèrement le succès de son affaire. Lysander,

  1. Il était éloigné de lui de cinq degrés de génération. Plut. in Agide, pag. 796.
  2. Ἐντεθραμμένος πλούτοις καὶ τρυϕαίς γυναικῶν τῆς τε μητρός Ἀγησιςράτας καὶ τῆς μάμμης Ἀρχιδαμίας, αἱ πλεῖςα χρήματα Λακεδαιμονίων ἐκέκτηντο. Enutritus esset in opibus et deliciis muliebribus matris Agesistratæ et aviæ Archidamiæ, quæ in Lacedæmoniis erant pecuniosissimæ. Plutar. in Agide, pag. 797.