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AGRICOLA.

terait ses erreurs ; mais pendant que l’on travaillait à dresser le formulaire qu’il devait signer, Luther fit de nouveaux livres dont Agricola se sentit tellement piqué, qu’il présenta[a] à l’électeur une requête fort choquante contre son antagoniste, où il se plaignait entre autres choses qu’on lui imputait des sentimens qu’il n’avait pas. Luther lui répondit avec tout son feu ; et pour ne demeurer pas chargé de la note de calomniateur public, il fit venir des attestations d’Islèbe sur quelques conversations particulières d’Agricola. Les théologiens de Wittemberg accoururent au secours de Luther, et prononcèrent que ses accusations étaient bien fondées. L’électeur de Saxe, bien embarrassé, avait fait donner des juges aux parties, et témoigné qu’il souhaitait qu’on trouvât des voies d’accommodement ; et puis il fit promettre à Agricola de ne se point retirer avant la fin du procès. Cette promesse fut violée ; Agricola se retira tout doucement à Berlin[b], sans attendre la réponse à la demande qu’il avait faite de son congé. L’électeur de Brandebourg tâcha de le réconcilier avec Luther ; mais il n’y eut rien à faire que sous l’une ou l’autre de ces deux conditions, ou qu’Agricola reviendrait poursuivre le jugement du procès, ou qu’il donnerait par écrit une rétractation de ses erreurs, et des injures qu’il avait dites à Luther. Il choisit ce dernier parti (B), et publia un livre à Berlin, où il demanda pardon à ceux qu’il avait pu offenser par ses erreurs, et à Luther nommément, et protesta de vouloir vivre et mourir dans la foi qu’il avait combattue. Luther ne se fia point à ces belles protestations. Agricola s’en plaignit à l’électeur de Saxe, et lui témoigna qu’il n’avait jamais eu un déplaisir aussi grand que celui que son démêlé avec l’homme de Dieu lui avait donné[c], et que puisqu’il ne gagnait rien par l’offre de son serment, il remettait sa cause au juge du monde, suppliant néanmoins très-humblement monsieur l’électeur de lui faire payer trois mois de gages qui lui étaient dus, dont il avait bon besoin pour nourrir sa femme et ses neuf enfans[d]. Je ne pense pas qu’il ait jamais pu rentrer en grâce ni auprès de l’électeur, ni auprès de Martin Luther. Il s’en consola sans doute par l’éclat que lui donnait à Berlin sa charge de prédicateur de cour, et par le choix que l’on fit de sa personne pour la composition d’un ouvrage qui fit grand bruit. Je parle de l’Intérim qu’il dressa avec Jules Phlug et avec Michel Heldingus [e], l’an 1548. On prétend que l’empereur récompensa largement Agricola de la peine qu’il avait prise en cette rencontre. La guerre qui s’éleva quelque temps après en Allemagne entre les théologiens protestans[f] fit connaître que ce ministre était

  1. Le 30 mars 1540, pendant l’assemblée de Smalcalde.
  2. En 1540.
  3. Voyez la remarque (B).
  4. Tiré de la Réponse de Seckendorff au Luthéranisme du père Maimbourg, liv. III, pag. 306, 310.
  5. On le nomme ordinairement Michaël Sidonius parce qu’il était évêque titulaire de Sidon.
  6. C’était sur la question des choses indifférentes en la religion.